Suite de notre série d’articles consacrée au rapport de la « Early Intervention Foundation » (un des neuf “what works centers” britanniques) qui a publié en juillet 2016 une très dense revue de littérature sur l’évaluation des dispositifs de soutien parental. Nous proposons ici une présentation de la partie du rapport dédiée aux programmes axés sur la gestion des troubles du comportement de l’enfant.

En introduction de cette partie, les auteurs du rapport « Des fondations pour la vie : les interventions efficaces pour soutenir les interactions parents-enfants dans les premières années » commencent par un nécessaire rappel :  l’agressivité et les comportements de défi font partie du développement normal du jeune enfant (voir à ce sujet notre entretien avec Richard Tremblay). L’agressivité culmine entre 2 et 3 ans. L’enfant remplace ensuite ces comportements violents par des stratégies plus sophistiquées de négociation et par une capacité à contrôler ses impulsions. Certains enfants vont néanmoins conserver cette violence et cette impulsivité et la recherche montre que s’il existe des facteurs de risque indépendants des parents (tempérament de l’enfant, sexe, présence de frères et sœurs), les comportements parentaux demeurent le facteur de prédiction le plus fort.

Les troubles précoces du comportement prédictifs de problèmes psycho-sociaux ultérieurs

En effet l’agressivité et l’impulsivité persistantes des enfants sont fortement liées aux réponses inappropriées des adultes et aux interactions « coercitives » qui se mettent en place. L’agressivité des enfants répond souvent à celle des adultes. Les auteurs notent que le recours aux châtiments corporels est un bon prédicteur d’un comportement agité chez l’enfant. Les auteurs rappellent également que ces difficultés comportementales identifiées dans la petite enfance constituent un signal d’alerte très fort quant à la survenue de problèmes économiques et sociaux ultérieurs. Ils sont très prédictifs de nombreux risques psycho-sociaux : échec scolaire, chômage, incarcération, toxicomanie, maladie mentale. Les preuves à ce sujet sont consistantes et persistantes, comme le rappelait d’ailleurs (déjà) le rapport de l’INSERM de 2005 sur les troubles des conduites. Ce rapport qui a suscité une phénoménale levée de boucliers des professionnels du champ psycho-social, ne faisait que présenter ces évidences scientifiques. Le monde entier sait que la terre est ronde, la France a encore du mal.

Les auteurs recensent rapidement les stratégies les plus recommandées pour faciliter la régulation du comportement de l’enfant : ne pas céder aux caprices et colères, ne pas se disputer avec l’enfant ou argumenter pendant des heures, ne pas avoir recours aux châtiments corporels, avoir recours aux temps de pause pour laisser à l’enfant le temps de se calmer, utiliser un système de bons points ou de récompenses, féliciter l’enfant quand il agit positivement.

Des programmes de soutien fondés sur des preuves solides

De nombreux parents connaissent ces grands principes. D’autres non, ou les appliquent mal. Les facteurs qui jouent sur le degré de connaissances des parents sont le niveau d’éducation, la consommation de substances toxiques, la monoparentalité, le désavantage social et la dépression. Même s’il se peut que la dépression et l’anxiété parentales soient elles-même causées par le comportement difficile de l’enfant. Le fait que les difficultés socio-économiques d’une famille aient un impact fort sur le développement de l’enfant est de plus en plus confirmé.
Les programmes qui permettent aux parents d’intégrer les bonnes stratégies sont appelés « entraînement au management comportemental ». Tels qu’ils ont été pensés dans les années soixante-dix, ils se décomposent en deux phases : la première phase consiste à apprendre aux parents à comprendre les besoins de leur enfant et à jouer avec lui. La seconde phase les incite à adopter une discipline et un système de récompenses adapté à l’âge de l’enfant. Ces programmes sont d’autant plus efficaces qu’ils répondent aux problèmes précis rencontrés par les parents et leur offrent suffisamment d’occasions de s’entraîner et de recevoir un feedback personnalisé, à travers des jeux de rôle notamment.
On trouve davantage de programmes fondés sur des preuves parmi les interventions axées sur le comportement de l’enfant que parmi les interventions dédiées à l’attachement. Certainement parce que les programmes de management comportemental sont plus anciens. Ils reposent aussi sur des principes faciles à comprendre pour les parents, avec des effets rapides. Ils sont en général eu coûteux parce qu’ils s’adressent à des groupes de parents.Le rapport de l’EIF propose un focus sur les dispositifs qui présentent le plus haut niveau de preuves.

Le programme Incredible Years Preschool BASIC, l’un des plus évalués

Il s’agit de l’un des programmes les plus évalués en la matière, et donc l’un des plus connus. Il est destiné aux parents d’enfants de 3 à 6 ans avec qui rencontrent une difficulté avec le comportement de l’enfant. Une fois par semaine, ils se voient enseigner des stratégies pour interagir positivement avec leur enfant et décourager chez lui les comportements inadaptés. Les intervenants utilisent des vignettes vidéo et des exercices pratiques. Ils font jouer les parents avec leurs enfants. Les parents sont amenés à développer une attitude attentionnée, à encourager les acquisitions qui favoriseront les apprentissages scolaires, à établir des routines et des règles fixes. Une version renforcée du programme existe pour les familles confrontées à des problématiques très complexes.

Cette intervention est parfois proposée à toutes les familles exprimant un besoin, parfois ciblée sur des familles considérées comme à risque ou pour lesquelles une difficulté a déjà été identifiée. Les études montrent que l’efficacité du programme est plus élevée dans ce dernier cas, lorsque l’enfant a déjà reçu un diagnostic et qu’il s’agit là du critère d’inclusion dans le programme: nette réduction des conduites antisociales des enfants et augmentation des compétences en lecture, mais aussi attitude plus chaleureuse chez les parents et meilleure capacité de supervision. Ces résultats n’ont pas été retrouvés pour la population ciblée sur de simples critères socio-économiques (quand la famille est socialement défavorisée). Les auteurs estiment que l’une des explications réside dans la motivation des parents : elle est beaucoup moins forte chez les familles recrutées parce qu’elles appartiennent à une certaine catégorie de la population que chez les familles où le programme est une indication thérapeutique pour un enfant déjà en difficulté. Chez les premières, il n’existe pas de besoin exprimé : les parents ne voient pas l’utilité du programme, sont moins assidus, et en tirent donc nettement moins de bénéfices.

Le Triple P, décliné dans plusieurs pays

Le programme Triple P est l’un des plus connus. Lui aussi a essaimé dans plusieurs pays et fait l’objet de nombreuses évaluations. Il se décline en plusieurs versions, le programme original consistait en des visites à domicile, aujourd’hui il est plutôt proposé sous formes de séances de groupes, complétées par des échanges téléphoniques (le contenu consiste toujours en un coaching à base de parentalité positive). Les preuves sont fortes lorsque le Triple P est proposé à des familles pour lesquelles un besoin a clairement été identifié.

Le programme EPEC (empowering Parents/Empowering Communities), les parents formateurs

Il est destiné aux parents d’enfants de 2 à 11 ans vivant dans des quartiers défavorisés. Sa spécificité : ce sont les parents ayant déjà participé au programme qui en deviennent ensuite les ambassadeurs et prodiguent leurs conseils aux autres (comme dans l’expérience tentée en Macédoine avec les parents d’enfants autistes). Les parents apprennent à développer des interactions positives avec leur enfant, à réduire les comportements négatifs de leur enfant, à prendre confiance en eux. Des preuves ont été apportées concernant la capacité du programme à modifier les comportements des enfants et des parents.

Family check up, sur une très longue durée

Ce dispositif est dédié aux familles avec des problématiques très spécifiques (faible niveau socio-économique, troubles mentaux). Après l’intervention, les familles sont suivies pendant au moins cinq ans notamment, pour l’enfant, sur le plan de la santé et de l’hygiène bucco-dentaire. Le programme se décompose en plusieurs phases qui vont pas être proposées aux familles au même rythme ou à la même intensité. L’idée est de s’adapter à leurs besoins réels. Le programme a des effets sur la parentalité et sur le développement de l’enfant. Il est à noter un bon taux de rétention (assiduité) malgré des problématiques psycho-sociales lourdes.

La revue de littérature effectuée ici a identifié deux programmes de prévention des troubles des conduites dont les effets se sont révélés nuls. Ils étaient proposés de façon universelle, à toutes les familles et consistaient en des visites à domicile au cours de la première année de l’enfant. Le groupe test n’a pas obtenu de meilleurs résultats que le groupe contrôle. Les auteurs en concluent que tous les parents n’ont pas besoin d’aide pour gérer le comportement de leur enfant et qu’en tous cas leur offrir un soutien trop tôt, en prévention, est plutôt inutile. C’est au moment où se présente la difficulté qu’ils bénéficieront davantage de ce type d’intervention. D’où les meilleurs résultats des programmes destinés aux familles où une difficulté a été diagnostiquée. Conclusion : les programmes de management comportemental ne peuvent peut-être pas prévenir la survenue des difficultés s’ils sont mis en place trop tôt mais ils peuvent en revanche empêcher que le problème ne s’installe et donc prévenir des difficultés futures lorsqu’ils sont proposés au bon moment.