Depuis le reportage consacré par Envoyé Spécial au lien établi par Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI, entre la surexposition aux écrans et la survenue de symptômes qu’elle considère comme similaires à ceux des Troubles du spectre de l’autisme, les réactions de spécialistes et de parents d’enfants autistes se multiplient. Elles avaient déjà été très vives lors de la mise en ligne de notre premier article sur le sujet en mars 2017*, suivi de deux autres articles à quelques jours d’intervalle, qui donnaient la parole aux chercheurs et rappelaient l’état des lieux des connaissances sur l’impact des écrans. Nous faisons régulièrement réagir nos interlocuteurs sur cette alerte lancée par Anne-Lise Ducanda, comme ici avec Thomas Rohmer ou avec Anne Raynaud Postel. Nous accueillons aujourd’hui sur GYNGER Magali Lavielle-Guida, orthophoniste et docteure en psychologie, spécialisée en remédiation auprès d’enfants et d’adultes porteurs de troubles du développement. Elle livre son point de vue dans le billet ci-dessous.

Depuis mars 2017, la vidéo de la docteure Ducanda fait son effet. Rejointe par cinq médecins, trois orthophonistes, une psychologue et deux enseignants, ce médecin de PMI a créé un collectif, le COSE Collectif contre la Surexposition aux Ecrans. L’autisme virtuel est évoqué : la surexposition aux écrans entraînerait l’apparition de symptômes d’autisme qui disparaîtraient en supprimant l’usage des écrans.

Une sémiologie bien réelle qui ne peut être taxée de virtuelle

Or de nombreux professionnels spécialistes de l’autisme, ou plus précisément des Troubles du Spectre de l’Autisme, médecins, pédopsychiatres, professeurs de psychologie, ont réagi pour rappeler que l’autisme est un trouble neuro développemental dont la sémiologie diagnostique est définie. Réelle. Indépendante de l’utilisation des écrans. Evoquer un autisme virtuel c’est faire fi des connaissances scientifiques bien établies désormais sur les Troubles du Spectre de l’Autisme.
Il ne s’agit pas de contester les faits cliniques observés par la docteure Ducanda et ses collègues, mais établir un lien de causalité sans étude scientifique c’est faire de ses observations une généralité (voir aussi l’entretien avec Franck Ramus dans Science et pseudo-sciences). Ce n’est pas acceptable car cela revient à désinformer.
Que la surexposition, c’est-à-dire l’exposition excessive aux écrans, soit néfaste au développement et qu’elle puisse générer des troubles de la communication et du langage, soit.
Que ces troubles soient assimilables à de l’autisme non. D’ailleurs Michel Desmurget qui a été l’un des premiers à souligner les effets potentiellement néfastes des écrans a également précisé que cet amalgame n’était ni fondé ni correct.
Et c’est en cela que cette expression fallacieuse est néfaste. Elle porte préjudice aux familles et aux personnes concernées par les troubles du spectre de l’autisme.

Des conséquences inacceptables pour les familles

Le 18 janvier dernier, le magazine envoyé spécial redonne en prime time un temps de parole au Docteure Ducanda et de nouveau l’autisme virtuel est évoqué.

De généralisations en amalgames, des mots sont placés dans les cahiers de liaison* des élèves expliquant le lien entre temps passé devant des écrans et le développement de l’autisme. Le mot est bien réel comme on pouvait s’y attendre l’adjectif « virtuel » a disparu…

De généralisations en amalgames, on place les familles et les professionnels-les encore et encore en situation de devoir réexpliquer l’autisme [1], les causes plurifactorielles, l’importance des remédiations et parfois le caractère indispensable d’un outil permettant la communication. Parce qu’enfin il est essentiel de rappeler que de nombreux enfants utilisent un smartphone, ou une tablette, pour communiquer comme moyen d’expression alternatif. Si l’on s’intéresse au témoignage d’Owen Suskind, par exemple, on apprend que les dessins animés ont permis à ses parents de pouvoir être davantage en interactions avec lui et qu’il a réussi à développer de nombreuses compétences sociales (reconnaissance et expression des émotions, groupe d’échanges entre fans de Disney) grâce aux dessins animés qu’il regardait sur écran.

De généralisations en amalgames, on risque de sous diagnostiquer des enfants ou de leur faire perdre un temps précieux, passé à attendre que l’absence d’écran fasse disparaître leurs symptômes. Il est possible qu’un petit enfant porteur de TSA apprécie les écrans, et que les supprimer le rende momentanément plus disponible notamment au niveau attentionnel, il ne sera pas pour autant « moins autiste » et aura besoin de remédiations spécialisées qui, on le sait, sont d’autant plus précieuses qu’elles sont précoces.

Alerter n’est ni alarmer ni désinformer

Il est essentiel de rappeler que les études scientifiques manquent et que nous avons besoin de travaux précis et fiables méthodologiquement. En Angleterre de nombreux scientifiques ont d’ailleurs réagi face au débat présent en demandant « où sont les preuves ? » .

Il est essentiel d’appeler à la vigilance quant au temps d’écran et à l’indispensable nécessité des interactions avec ses enfants. Essentiel de souligner l’importance du jeu, des balades, des câlins, des chansons et comptines, des jeux sensoriels, tactiles, visuels et sonores, des dessins et coloriages avec des crayons sur une feuille ou un cahier. Rappeler que lors des repas on se regarde, on se parle, on commente sa journée, on se raconte des choses. Et ce même quand on est avec un tout petit.

Il est essentiel de rappeler que les écrans doivent rester des outils sources d’informations, d’échanges et de découvertes et non pas des objets omniprésents bloquant les échanges.
Aux Etats-Unis l’Association de Pédiatres a établi des recommandations. En France l’Académie des sciences a également produit un rapport avec des recommandations . Elle insiste sur la nécessité d’apprendre à réguler l’utilisation de ces outils qui sont dans notre environnement.

Car ce qui est néfaste c’est l’excès et le temps volé aux interactions. Sur tous ces aspects oui il peut être pertinent et nécessaire d’alerter les parents ainsi que les pouvoirs publics.
Mais pas au prix de la désinformation. L’expression « autisme virtuel » n’a aucun fondement scientifique, et porte préjudice aux personnes concernées. Elle est contre-productive. En tant que professions de santé nous nous devons de respecter notre code de déontologie, nos patients et leur famille, et pour ce faire, nous devons fonder, autant que possible, notre démarche clinique de prévention, d’évaluation et de remédiation sur des données probantes.

[1] Biette. , S, Autisme et Implication parentale, 2016, Rééducation Orthophonique, N°265, 53-64

*Ajout de GYNGER : c’est ce premier article qui circule le plus, y compris, visiblement, dans les cahiers d’école. Nous avons consacré trois articles à ce sujet, qui exposent chacun l’argumentaire du Dr Ducanda, l’analyse et les appels à la prudence des chercheurs, les réponses du médecin à ces objections, l’état de la littérature. Ils forment un tout cohérent à défaut d’être exhaustif.