De la théorie mais aussi de la pratique. C’est ainsi que l’Institut de la parentalité, organisateur du colloque franco-québécois « Innover et agir en protection de l’enfance autour de la construction du lien », a conçu son événement. La dernière partie de la deuxième journée a donc permis un focus sur des interventions concrètes. 

Pour rappel, l’ouverture du colloque a mis l’accent sur la périnatalitéles fondements de la théorie de l’attachement ont ensuite été explicités,  puis les dispositifs législatifs français et québécois de protection de l’enfance ont été passés au crible. Ce colloque de deux jours a donné lieu à neuf propositions.

Retrouvez l’intégralité de notre compte-rendu, découpé en quarte articles (dont celui-ci, en gras ci-dessous):
Première partie du colloque: focus sur la santé mentale périnatale
Deuxième partie du colloque: la construction des liens
Troisième partie du colloque: la théorie de l’attachement depuis la fenêtre de la protection de l’enfance
Quatrième partie du colloque: Des interventions de prévention et de protection construites autour de l’attachement

Romain Dugravier, PANJO et CAPEDP, deux recherches-actions inspirées de la théorie de l’attachement

Côté français, l’Institut de la parentalité a souhaité donner la parole à Romain Dugravier (Pédopsychiatre – chef de service – Centre de Psychopathologie Périnatale Boulevard Brune – GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences -), membre du comité d’experts sur les 1000 jours. Le pédopsychiatre présente PANJO et CAPEDP, deux recherches-actions inspirées de la théorie de l’attachement. « CAPEDP est une recherche fondatrice dans ma pratique clinique », affirme-t-il en introduction.

Un système de santé publique français enviable mais à bout de souffle

« On a un système de santé publique en France de grande qualité et très riche, avec des secteurs de psychiatrie et psychiatrie infanto juvénile et la PMI, un accès aux soins pour tous en proximité. Quand le canadien Richard Trembaly a découvert la PMI, il était fasciné. Par contre ça manque de cadre, il faudrait organiser les interventions. Nos systèmes sont abîmés mais ils sont riches et enviables ». Il poursuit sur les limites de la PMI et le rapport de Michèle Peyron. « On est dans un état d’urgence. Le nombre de visites à domicile a été divisé par 2 sur 20 ans. On n’est pas en mesure d’offrir ce qu’on souhaiterait proposer ». Une précédente étude avait montré que sur 3000 naissances dans le 18ème arrondissement parisien, 1800 familles étaient vues en visite à domicile (VAD) mais seulement une sur 10 l’était plus plus d’une fois. « L’objectif des professionnels est de faire alliance avec la famille. Or, 9 fois sur 10 on n’y retournera pas ».

Romain Dugravier s’étonne qu’un pays riche comme le nôtre ne dépiste pas mieux la dépression périnatale. D’après lui le système n’est pas utilisé au mieux. « Que sait-on des visites à domicile ? Les intervenants ont des objectifs imprécis, ils ne peuvent pas définir le contenu de l’intervention. Ils sont souvent confrontés à des problématiques de santé mentale et n’y sont pas formés ».
Romain Dugravier évoque ce sentiment récurrent et très partagé « d’intervenir trop tard avec des problèmes très installés ». « Il y a quelques années je m’occupais du CMP pour les 0-6 ans. Je voyais des 3-6 ans avec des troubles du comportement à l’école. Or il y avait des prémices bien plus précoces. Il faut lutter contre les inégalités d’accès aux soins. On est dans une logique d’égalité, d’universalisme. On s’adresse à tous. Mais on sait que faire la même proposition à tous c’est en fait perdre une chance pour une partie de la population. Il est préférable de mettre en œuvre un universalisme proportionné, c’est à dire offrir à tous un accès au soin mais en graduant l’offre en fonction des besoins. Sinon on se heurte à un « effet Matthieu » : si on offre des services universels, ce sont toujours les mêmes qui s’en servent. Regardez l’entretien prénatal précoce : c’est la classe moyenne aisée qui s’en saisit ».

CAPEDP, une étude fondatrice…

Il revient au projet CAPEDP, « fondateur ». Il s’agit de la première étude française randomisée contrôlée (Etude d’intervention multi focal multi sites) qui tente de réduire les troubles de la relation parents enfants et la dépression maternelle.
Des critères de vulnérabilité ont été définis. Les Femmes devaient avoir moins de 26 ans, être primipares, et présenter au moins un critère de risque (se sentir isolées, avoir un niveau de revenu faible, ou un faible niveau d’étude). Le groupe intervention et le groupe contrôle (suivi habituel) présentaient le même nombre de femmes : 220 chacun. Les objectifs étaient ambitieux puisqu’il s’agissait de prévenir les troubles du comportement à deux ans, de prévenir la dépression post natale et les troubles de la relation parent-enfant en luttant contre la discontinuité entre anté natal et post natal. « L’attachement est la colonne vertébrale de ce projet ». Le principe : des VAD fréquentes, qui commencent tôt, régulières, avec une intensité décroissante (40 VAD prévues). L’enjeu était de créer une relation de confiance, une alliance, pour aider les mères à se repérer dans le réseau. L’intervention est centrée sur la sensibilité maternelle. Un manuel d’intervention est conçu (inspiré de Brazelton, de la théorie de l’attachement) et une supervision individuelle hebdomadaire est prévue.

Le budget est important, incluant six temps d’évaluation avec différentes échelles (EPDS, ADBB, troubles du comportement, attachement…). « Il a fallu assumer le nombre de perdues de vue. A 18 mois plus de la moitié des familles étaient perdues et on les perdait au début. C’était une population fragile avec 40% de grossesses non planifiées. Un quart des femmes avaient déjà eu une IVG».

… aux résultats mitigés

Les résultats sur la dépression post natale n’ont montré aucune différence à 3 mois entre le groupe contrôle et le groupe intervention. L’intervention se révèle efficace pour les femmes les moins vulnérables. C’est à dire que quand elles ne sont pas déprimées en prénatal il y a des chances qu’elles ne le soient pas en postnatal. Quand les facteurs de vulnérabilité s’accumulent ça ne marche plus. « Les résultats ont été décevants, reconnaît Romain Dugravier. On n’a pas réussi à faire toutes les VAD qu’on avait prévues. On en faisait 6 à 7 sur les 6 premiers mois au lieu de 14 prévues ».
Concernant le retrait relationnel des bébés, évalué avec l’échelle ADBB, là encore l’intervention se révèle efficace pour les moins vulnérables. Sinon, aucun effet à 18 mois.
En revanche, sur l’attachement, les résultats sont plus positifs (évalué avec la situation étrange et le test « ambiance »). On constate beaucoup moins d’enfants désorganisés dans le groupe intervention (7%) contre 20% dans le groupe contrôle. « C’est vraiment intéressant car il s’agit d’un facteur prédictif. Les mères sont moins « désorganisantes », mais pas en raison d’un changement de représentation ».
Conclusion : « On a des résultats encourageants mais pas autant que ce qu’on espérait. Peut-être le programme était-il trop généraliste, pas assez centré sur la DPN. De plus le groupe contrôle bénéficiait du système habituel mais aussi de six VAD. Or c’est une intervention en soi ». Reste une question importante : « Comment fait-on avec les populations fragiles ? »
L’attrition a très vite été importante. « On a mis du temps à modéliser le fait que c’était trop ambitieux. 40 VAD c’est trop ». L’une des grandes informations de cette recherche a porté sur les pratiques des puéricultrices : « elles ont chacune leur style, vont à domicile avec ce qu’elles sont ».

PANJO, une recherche-action plus souple

Romain Dugravier s’est alors impliqué dans un nouveau projet de recherche : PANJO. « On est partis de l’existant. Une première phase a servi à évaluer l’acceptabilité de l’intervention (comment à partir des données de recherche on peut se l’approprier et que ce soit utilisable au quotidien dans les pratiques ?) puis on a évalué l’efficacité ».
Quatre axes structurent l’intervention :
– Une formation initiale de 4 jours (2 jours sur le stress et la théorie de l’attachement, 2 jours sur relation d’aide, sur l’entretien motivationnel) avec un manuel relu, repris pour avoir des outils de travail qui structurent l’intervention
– En ante natal on demande à la femme si elle est assez soutenue : c’est le critère d’inclusion.
– Deux VAD sont proposées en ante natal et au moins 4 VAD jusqu’aux 6 mois
– L’analyse des pratiques et la supervision sont mises en place avec le service de psychiatrie infanto-juvénile attenant et il y a une chefferie de projet pour qu’il soit soutenu collectivement sur l’ensemble du territoire

Les objectifs sont souples et adaptés. La première découverte est que ce sont les superviseurs qui tiennent le projet. La supervision est mensuelle et groupale. Ce sont eux qui permettent d’atteindre les objectifs :désenclaver les services, soutenir la relation de confiance en gigogne, garder le cadre de l’intervention en tête, s’appuyer sur les concepts de l’attachement, travailler sur les ressentis des professionnelles. « Tous ceux qui ont touché le classeur disent « c’est très utile, ça structure notre pensée ». Le jeu de carte dans PANJO : les familles s’en sont vraiment saisies ».
Onze territoires ont été concernés, 260 professionnels formés. Les résultats seront bientôt publiés.
Quelle différence avec CAPEDP ? « CAPEDP c’était randomisé, de la recherche pure et dure. Ca a été un marqueur pour nous, c’était une évaluation à une époque où c’était mal vu en France. On ne peut pas le dupliquer. Et on sait aussi que choisir des psys pour aller à domicile, ce n’est pas la meilleure idée. On espère une convergence entre les modèles cliniques et les modèles de recherche. En France on est fascinés par la recherche au Québec. Mais la réplication à l’identique c’est souvent très décevant. Comment la recherche nous aide à penser nos modèles, à les faire évoluer ? La recherche doit nourrir la clinique et vice versa (Myriam David) ».

« Petits Pas Grands Pas » pour contrer l’effet Matthieu

Romain Dugravier évoque son dernier projet, « Petits Pas Grands Pas » développé avec Thomas Saïas et l’ANISS, qui doit permettre de lutter contre les inégalités sociales de santé et contrer l’effet Matthieu et est donc « universalisme proportionné friendly ». L’idée est de réfléchir à l’accessibilité (aller au devant des familles). En Moselle, le travail a porté sur un outil téléphonique pour « aller vers » et leur proposer un service en fonction de leur besoin. Travailler sur la communication se révèle une condition sine qua non. Or la qualité des outils est très variable.

Romain Dugravier explique avoir « baigné dans l’attachement grâce aux époux Guedeney ». « Ca a modelé ma pratique. C’est une théorie qui permet de travailler sur la mutualité, sur des éléments suffisamment partageables. La VAD est un puissant outil d’accès aux familles. Mais il faut avoir un projet. C’est importance de commencer en antenatal avec une personne qui pourra continuer en postnatal. Il faut aussi avoir une durée déterminée, suffisante, présentée aux familles. C’est une démarche plus qu’un programme : le but n’est pas de répliquer mais de partir des besoins des familles et des professionnels ».

George Tarabulsy : Résultats du programme d’intervention relationnelle au Québec. Quelles pistes innovantes ?

George Tarabulsy, Professeur à l’Ecole de Psychologie de l’Université de Laval poursuit le propos tenu la veille pour présenter cette fois les résultats du programme d’intervention relationnelle au Québec. Il s’agit d’un « programme de prévention axé sur le développement de l’enfant », évalué dans cinq établissements du Québec, dans le cadre d’une étude menée par Claire Baudry et Jessica Pearson, (CIUSSS de la Capitale Nationale).
George Tarabulsy résume le système de suivi québécois. 97% des femmes enceintes bénéficient d’un suivi médical, qui comprend notamment 7 rencontres prénatales. Il existe des services intégrés en périnatalité et petite enfance, avec un intervenant pivot, pour les familles avec des facteurs de vulnérabilité. Les enjeux principaux sont liés à la nutrition, la santé, le développement de l’enfant, le soutien à l’adaptation du parent, l’intégration communautaire et la formation professionnelle. Le suivi est un peu plus dirigé mais pas obligatoire. C’est la première ligne.

Eviter la judiciarisation

Ensuite, on trouve des programmes de prévention de la négligence. Le risque social est ici plus aiguë, avec une implication possible de la protection de l’enfance. Il faut améliorer le développement de l’enfant et les pratiques parentales, éviter la judiciarisation. « On est dans la prévention, toujours en première ligne. On travaille sur les compétences parentales, la santé de l’enfant. Quand un enfant se retrouve dans les services de protection l’intervention devient remarquablement inefficace. On veut protéger l’enfant mais on veut faire des choses pour lesquelles l’Etat est très mal équipé. Le premier réflexe est donc de solidifier la famille. Si le travail avec la famille n’est pas possible, soyons honnête, il faut sauver cet enfant, on le retire. Mais ça devrait être le plan B. »

La protection de l’enfance commence à la naissance. Il y a les « alertes bébé ». Quand un parent est déjà en grandes difficultés, par exemple pour des raisons de santé mentale, le médecin appelle le service de protection de l’enfance. Il y a un ensemble d’objectifs et notamment éviter l’ intensification du processus de judiciarisation, éviter le placement à long terme, et l’instabilité pour l’enfant. « On peut soutenir des familles sans que le dossier soit judiciarisé. Si on met tous les sous dans la judiciarisation on n’a plus d’argent pour le travail social. Un placement est extrêmement dispendieux. Chez nous, sur la tranche des 0-5 ans, quand un signalement est retenu à la DPJ, la moitié des enfants sont placés. Dans ce cas on vise le retour de l’enfant dans sa famille, grâce aux interventions, et si ce n’est pas possible on vise la stabilité du lieu de placement. Le temps est balisé. »

Le défi d’aujourd’hui : appliquer les connaissances issues de la recherche auprès des populations vulnérables

Dans quels programmes parle-t-on d’attachement ? L’intervention relationnelle dont il est question ici s’adresse aux enfants de un à cinq ans.
« Quand on a vu que sur le plan empirique qu’on pouvait faire de la prédiction avec l’attachement on s’est ensuite demandé si on pouvait faire de l’intervention efficace inspirée de l’attachement, dans l’idée d’améliorer la sensibilité maternelle, la capacité des parents à décoder le fonctionnement de leur enfant, les signaux, les émotions. Si on apprend à à un parent qu’un enfant qui pleure a besoin d’aide, si on lui apprend à s’installer et à établir des contacts visuels, a-t-on un effet sur les enfants ? Dans les années 80-90-2000 la plupart des travaux se faisaient dans des contextes hautement contrôlés avec des populations à faible risque, peu vulnérables. Dans l’étude dont je vais parler, on a regardé les interventions axées sur l’attachement dans des populations à très haut risque : très jeunes mères marginalisées ou familles suivies en protection de l’enfance avec enfant retiré du milieu (et n travaillait avec familles adoptives). On a eu des résultats très intéressants. »

Il cite le chercheur Dante Ciccetti : « il y a 20 ans à la question « que peut on faire avec les familles très vulnérables, j’aurais répondu « il y a quelques pistes prometteuses mais je ne sais pas ». Aujourd’hui ce n’est plus vrai. Le défi de notre époque c’est le transfert du peu qu’on sait qui fonctionne ». « Le défi qu’on a, c’est de transmettre ce qu’on sait assure George Tarabulsy. Comment transfère t-on ce qu’on a en contexte universitaire hautement rigoureux dans notre réseau ?
Le défi du transfert est plus important que le défi de savoir ce qui fonctionne ».

Travailler sur les éléments qui ont un rel impact sur le développement de l’enfant

George Tarabulsy présente la recherche à laquelle il a participé. Il s’agit d’une intervention basée sur la « rétroaction en vidéo ». Elle a débuté auprès de mères adolescentes puis s’est étendue aux familles d’accueil, aux familles suivies par la protection de l’enfance, aux familles socio économiquement vulnérables. Une série de méta analyses (Claire Baudry et al) ont été produites qui montrent l’efficacité des interventions auprès des populations vulnérables quand on se préoccupe de la qualité des interactions parents-enfants. Par exemple les mères adolescentes.

« Quand on travaille avec elles, qu’est-ce qui a le plus d’impact sur le développement de l’enfant ? Quand on travaille sur la qualité des interactions parents-enfants (qui devient l’une des composantes du soutien), l’impact sur le développement de l’enfant est deux à trois fois plus efficace que lorsqu’on travaille uniquement sur la santé mentale du parent, son bien-être psychique. Les populations vulnérables présentent des spécificités qu’on ne retrouve pas dans l’ensemble de la population. Tout le monde a des besoins mais quand on parle de parents vulnérables, même quand ils vont mieux, ça ne veut pas dire qu’ils agissent mieux sur leurs enfants. L’enfant demeure à risque. Il se peut que si l’intervention dure longtemps, elle finisse par avoir un effet. Mais en attendant que le parent améliore son comportement, l’enfant n’est pas dans un congélateur, l’enfant est toujours en interaction avec un parent qui lutte contre ses difficultés avec sa parentalité

George Tarabulsy poursuit : l’intervention fonctionne quand elle cible les moteurs du développement. Par exemple la qualité des interactions. Les effets sont valables pour le développement cognitif et encore plus forts pour le développement socio-émotionnel. « Ces résultats nous disent que dans une intervention il n’y a pas d’effet domino. Un domino n’en fera pas tomber un autre. Si je veux améliorer le développement de l’enfant il faut comprendre quels sont les moteurs de ce développement pour travailler sur ces moteurs. Il est possible qu’en agissant sur le développement de l’enfant on n’aide pas le parent qui lutte contre la dépression. Il est possible que si on travaille sur la dépression on n’aide pas le développement de l’enfant. Une intervention qui va être globale va se préoccuper de l’ensemble de ces objectifs. »

Description détaillée de l’intervention relationnelle

Le projet implique la formation des intervenants, l’implantation et la pérennisation de l’intervention dans les services sociaux. On agit sur quatre objectifs :
– Comprendre les comportements et les signaux des enfants
– Comprendre que les comportements du parent agissent sur l’enfant (beaucoup de parents voient l’enfant comme une plante autonome sur lequel on n’a pas de prise : « non ce que vous faites est important. Ce n’est pas pour culpabiliser mais mobiliser le pouvoir d’agir »)
– Soutenir l’autonomie et l’exploration de l’enfant (dire que quand l’enfant se sent confiant il peut explorer). On peut soutenir de façon subtile. L’enfant doit savoir que nous veillons quelque part (c’est très important pour les ados. N.Guedeney parle « d’allumer le radar »).
– L’encadrement : on passe beaucoup de temps à dire que quand un enfant pleure il faut le consoler mais quand il grandit, parfois c’est nous qui allons le faire pleurer. Les parents dont nous parlons ont du mal à se sentir responsables des pleurs de leur enfant pour des tas de raisons qui leur sont propres. C’est très difficile de savoir comment encadrer.

L’intervention relationnelle est un module (un outil parmi d’autres) qui peut s’insérer dans un programme ou dispositif plus large. Elle se compose de 8 à 12 rencontres avec 3 aspects qui caractérisent la posture clinique de l’intervenant :
– Observations constantes permettant de formuler des hypothèses informées sur les interactions parent-enfant (des observations pertinentes sur le plan de l’attachement)
– Echanges avec les parents afin d’intégrer leurs propres questions aux rencontres
– Tâches d’interaction et rétro-action vidéo (« quand on a commencé, on était aux VHS, maintenant c’est génial, on filme avec un ipad »). « Les intervenants font ça sur le vif. On ne relève que ce qui va bien. Tout le monde a quelque chose qui va bien ».

Chaque rencontre est composée de trois segments :
– Des échanges informels
– Des capsules de discussion (pédagogie, enseignement sur une question en lien avec le développement de l’enfant, on a un manuel sur les sujets, on parle de l’importance de la prévisibilité, du contact physique, de répondre aux signaux de l’enfant, de soutenir l’autonomie)
– Une tâche d’interaction enregistrée sur vidéo et utilisée dans la rétroaction (inspirée de la capsule vidéo)

La rétroaction implique trois éléments qui structurent la démarche clinique de l’intervenant :
– Observation et rétroaction sur ce que le parent fait bien (on mise sur le fait qu’on veut appeler ce qu’il y a de latent chez le parent)
– Observation des défis du parent
Structure des prochaines rencontres avec les parents pour aborder les défis

Des études aux résultats très encourageants

George Tarbulsy présente trois études. La première, réalisée auprès d’enfants suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (Lanaudière et Mauricie-Centre du Québec) a consisté en huit rencontres d’intervention auprès d’enfants et leurs parents biologiques suivis en protection de l’enfance. Il s’agit d’un essai clinique randomisé qui a eu pour résultats une amélioration de la qualité des interactions parent-enfant, de la sécurité d’attachement et une diminution de la désorganisation de l’attachement.
« On était vraiment heureux. Les changements étaient profonds. Il y a eu des effets sur les comportements externalisés. Les parents rapportaient que leur enfant était moins agressif. On a eu des effets sur le développement cognitif des jeunes enfants. »

La deuxième étude, non randomisée, a été effectuée auprès de familles en PJJ avec des intervenants lambda qui ont été formés à l’intervention mais la dispensent au fil de leurs activités. « Je n’ai jamais vu des familles aussi abîmées. Il y a quelque chose qui bouge mais ça reste minime ».
Il fait état d’un résultat modérateur : ceux qui ont des niveaux élevés de problèmes, de symptômes, de traumas (anxiété, dépression…) sont ceux qui répondent mieux à l’intervention. Son interprétation est la suivante: ceux qui admettent avoir des difficultés sont ceux qui bénéficient le plus d’une intervention. A été noté une amélioration de la sécurité d’attachement médiée par l’augmentation de la sensibilité parentale. Mais l’effet positif est tempéré par rapport à ce qu’on trouve en général dans la littérature. Un effet au niveau du développement langagier est également apparu.

La troisième étude a porté sur l’observation des trajectoires au sein des services sociaux. Ceux qui reçoivent l’intervention sont-ils moins souvent placés ? Un groupe de 155 enfants a reçu l’intervention relationnelle au moins 4 fois. Ce groupe a été apparié avec 155 enfants qui ne l’ont pas reçue. 58,71% du groupe intervention ont été placés. Le taux était de 86,45% pour le groupe témoin. « On a diminué d’un tiers le nombre de placement, soit, comme je l’ai fait remarquer, une économie de 1,5 millions de dollars ».

Valérie PELLETIER, Chef de Service de la Maison du Petit Blanchon, Québec : Construire les liens d’attachement à la Maison du Petit Blanchon

Valérie Pelletier, Chef de Service de la Maison du Petit Blanchon, à Québec explique comment se construisent les liens d’attachement dans sa structure. Elle part des constats de départ : les ressources ne répondaient pas aux besoins des enfants et il était difficile de recruter des familles d’accueil. Les enfants connaissaient des placements successifs, des ruptures.

Le service accueille des enfants de 3 à 8 ans, ayant subi de graves sévices psychologiques et physiques. Ces enfants sont polytraumatisés, avec une désorganisation marquée et des difficultés majeures dans plusieurs sphères. Les répercussions des sévices subis sont multiples : anxiété, hypervigilance, échec scolaire, graves problèmes de santé, difficultés relationnelles, troubles du langage, troubles mentaux, troubles oppositionnels, conduites impulsives/agressives, trouble de l’attachement, idéations suicidaires, TDAH (diagnostic très fréquent). Ces enfants ont peu d’amis car il n’ont pas appris à réguler leurs émotions. Ils ont des symptômes post traumatiques, avec flashback.

Attachement, Régulation, Compétences

« En attachement on fait du décodage. Il faut offrir un panier réconfortant, être dans l’enveloppement (mais pas dans la contention violente) ». Le Petit Blanchon vise à offrir aux enfants « un milieu de vie stable, prévisible, sécurisant et stimulant ». « On réfléchit tous les jours pour diminuer les stresseurs au maximum. Il faut reconstruire les bases de leur identité, retrouver des capacités d’attachement suffisantes pour envisager un projet de vie permanent, retrouver les conditions essentielles à la reprise de leur développement, actualiser le plein potentiel. »
Plusieurs approches théoriques sont convoquées. L’approche bio écologique (systémique), le modèle psychoéducatif, le modèle d’intervention centré sur les besoins d’attachement mais aussi la prise en compte du trauma complexe. Trois lettres résument l’approche, ARC pour attachement, régulation, compétences. La composition de l’équipe : 14 éducateurs, 2 gardiens de nuit, 2 auxiliaires en santé et services sociaux, une travailleuse sociale, une cheffe de service, une orthophoniste, une équipe de santé mentale (psychologue, infirmière, médecin, spécialiste en activités cliniques). Les équipes se retrouvent pour des réunions fonctionnelles et cliniques, pour une supervision ARC (autour d’une étude de cas). Une supervision est mise en place pour chaque enfant deux fois par an, suivie de recommandations.

Travailler avec l’âge affectif plus que biologique

La personne qui accueille l’enfant est celle qui sera en charge du suivi. La chambre est décorée selon les goûts de l’enfant. La maison est adaptée aux besoins de l’enfant. « On travaille aussi les habiletés parentales, les routines avec les parents ». Le parent violeur et abuseur voit l’enfant ailleurs pour « préserver le cocon ». Chaque enfant est accompagné par un binôme constitué d’un capitaine et d’un matelot, et des « jumelages » d’enfants on lieu. Le capitaine sécurise, en cas de crise le matelot prend le relais. « Quand on commence à savoir vers quoi on s’oriente (placement ou pas), on le dit à l’enfant ». Le temps est scandé par des rituels et des fêtes. « On travaille avec l’âge affectif, pas l’âge biologique », prévient Valérie Pelletier. Des partenariats sont noués avec la garderie et l’école. Les enfants sont fiers de montrer leur maison. Des activités de socialisation sont mises en place mais sont individuelles avant d’ouvrir sur le groupe. « Il faut d’abord être au calme, dans la maison, avant de confronter l’enfant à l’extérieur. On choisit avec minutie où il va aller pour éviter le trop plein de stimuli.» Les activités d’apprentissage sont nombreuses pour travailler les fonctions exécutives, les habiletés sociales, la motricité globale, la motricité fine, les émotions, la relaxation. Une salle snowzlen a été adaptée pour ces enfants. Quand l’un d’entre eux part, l’équipe fait une “blanchon mobile” (avec des outils de la salle snowzlen en miniature).

Les principes d’intervention sont les suivants : un cadre contenant, une présence non punitive mais avec des limites très fermes, un dosage du positif afin de démonter le mécanisme de brisure émotionnelle, servir de miroir à l’enfant pour l’aider à comprendre et identifier ce qui se passe avec lui (je pense que, je vois que…).
Un plan de séjour est établi avec le profil de l’enfant, ses particularités, un plan d’entraînement (des petits trucs pour calmer ou éviter la crise), mais aussi un plan d’encadrement (donné à l’ensemble des intervenants, l’école etc…). Les partenaires sont formés (école, garderie, activités dans la communauté, soins de santé, nouvelle famille d’accueil). L’éducateur se rend à l’école, dans la classe, il est là physiquement tant que c’est nécessaire. Un protocole clinico-administratif permet d’évaluer le climat d’équipe et l’évolution des enfants.

A ce jour, 75% des enfants qui ont quitté les petits blanchons sont toujours dans le même endroit ressource.

Comment assurer une chaîne de sécurité autour de l’enfant et des adultes qui prennent soin de lui ? C’était un peu la question centrale de ces deux journées. Des pistes de réponses sont proposées à travers neuf propositions formulées à l’issue du colloque. Ces propositions s’articulent autour de trois axes: “Acquérir un langage commun et une attention conjointe sociétale sur les besoins de l’enfant”, “définir des réseaux de proximité bio-psycho-sociaux et citoyen”, “assurer la sécurité affective de l’enfant”. Elles ont été transmises aux représentants des institutions publiques et politiques présentes à ces deux journées.

Retrouvez l’intégralité de notre compte-rendu, découpé en quarte articles (dont celui-ci, en gras ci-dessous):
Première partie du colloque: focus sur la santé mentale périnatale
Deuxième partie du colloque: la construction des liens
Troisième partie du colloque: la théorie de l’attachement depuis la fenêtre de la protection de l’enfance
Quatrième partie du colloque: Des interventions de prévention et de protection construites autour de l’attachement