C’est la deuxième fois que l’Ined et l’Inserm organisent un événement autour des résultats préliminaires obtenus à partir des données de la cohorte française Elfe. Nous restituons ici les échanges sur l’environnement des femmes enceintes. Avec, en introduction, une présentation de la cohorte danoise, lancée en 1993.

Cette deuxième journée scientifique dédiée à la cohorte Elfe (18.000 enfants nés en 2011) a permis de faire le point sur les travaux en cours, produits à partir des données récoltées auprès des enfants de deux ans et de leurs familles. Ce matériau constitué par les entretiens menés avec les parents participants, les bilans biologiques, les tests passés par les enfants est une source d’information inestimable qui permet à la France d’intégrer par exemple le Projet Lifecycle financé par la communauté européenne et regroupant plusieurs cohortes en Europe.

La cohorte danoise, 25 ans de données

Anne-Marie Nybo-Andersen, du Département de la Santé Publique danois a inauguré les échanges avec la présentation de la cohorte danoise, décidée en 1993 et qui couvre 100.000 naissances de 1996 à 2002. L’objectif était notamment de comprendre l’augmentation de certains problèmes périnatals ainsi que des maladies chroniques et troubles neuro-développementaux. « Créer une cohorte, explique-t-elle, c’est comme créer une plantation forestière. C’est un investissement sur le long terme, la valeur augmente avec le temps. On ne sait pas à quoi va servir la matière première, la cohorte a besoin de soins continus.» Elle évoque deux collectes de données particulières : celle des 11 ans et celle des 18 ans.

A 11 ans, il s’agit d’une période transitoire, d’une phase de vie avec peu de maladies physiques. Le mode de vie et les habitudes sont fondés, c’est le début de la puberté et les compétences sociales sont à l’épreuve (de graves problèmes psycho-sociaux peuvent apparaître. « Les enfants de 11 ans sont de bons informateurs », note Anne-Marie Nybo-Andersen. Elle explique qu’une attention toute particulière a été portée aux troubles musculo-squelettiques, notamment les maux de dos. C’est la première cause d’invalidité dans le monde et il peut être très utile de savoir si ces douleurs rachidiennes prennent leur source dans la petite enfance. 10% des enfants de 11 ans ont des douleurs chroniques, 60% n’ont jamais eu mal. Il existe des facteurs de risque : des parents divorcés, un faible niveau d’éducation parentale, et le fait de vivre dans un foyer à bas revenus.
Pour la collecte des 18 ans, l’accent a été mis sur la santé mentale, avec, en arrière plan cette question centrale : les expériences précoces négatives se traduisent-elles par des troubles mentaux plus tard ? Selon la chercheuse, l’accent mis sur cet item « effrayait certains concepteurs de l’étude». « Mais le sujet est très concernant pour ces jeunes et ça explique peut-être qu’il y ait eu une si bonne participation. » Moins de 2% des jeunes de 18 ans de la cohorte se sont retirés du projet. Pour limiter l’attrition, les Danois ont mis en place un conseil de 200 jeunes et ont nommé 8 ambassadeurs qui témoignent de leur expérience en tant que participants.

L’exposition des femmes enceintes aux polluants atmosphériques très liée à la défaveur sociale

Le focus suivant, présenté par Johanna Lepeule de l’Inserm de Grenoble, a ouvert une session dédiée à l’environnement des enfants et des mères. Ce topo porte sur les déterminants de l’exposition maternelle aux polluants atmosphériques et les associations avec le poids de naissance, dans le cadre du projet PATer. Avec cette spécificité : une résolution spatiale très fine pour éviter les biais et un calcul de l’exposition aux polluants chimiques pour chaque femme au cours de différentes fenêtres temporelles. 15.000 femmes ont constitué l’échantillon. Globalement, les facteurs qui font varier l’exposition sont l’âge, l’IMC, le statut marital, l’index de défaveur sociale, la consommation de tabac.
Pour les PM2 ( particules très fines qui vont très profondément dans l’arbre bronchique et passent dans le sang) et PM5, deux facteurs principaux sont mis en exergue : le niveau d’urbanisation et l’index de défaveur sociale. Parmi les facteurs plus secondaires on trouve le niveau d’éducation de la mère et son âge. Il existe donc des liens entre l’exposition aux polluants de l’air et la défaveur sociale selon l’urbanisation. Cette corrélation est dite «monotone » dans les gros centres villes et les petits centres : quand le niveau de défaveur augmente, l’exposition augmente elle aussi. En revanche, dans les zones rurales les femmes les plus défavorisées et les plus favorisées sont les plus exposées (la courbe est en U).

D’après la littérature, une augmentation des PM2, 5 et 10 est associée à une diminution du poids de naissance. « Dans Elfe les résultats sont en cours de validation, cohérents avec les résultats de la littérature, note Johanna lepeule. La résolution spatiale est fine donc le risque d’erreur est moindre, et la résolution temporelle fine va permettre d’évaluer les fenêtres de sensibilité. » Elle insiste sur l’inégalité sociale face à l’exposition. « Les femmes les plus défavorisées sont les plus exposées dans les zones urbaines. Ce lien diffère selon les pays. Aux USA, il est systématique, en Europe, il l’est moins en raison de configurations urbaines plus hétérogènes. »

Pesticides : toutes les femmes enceintes exposées à au moins 25 molécules

Suit une autre présentation sur l’exposition aux pesticides pendant la grossesse par Cécile Chevrier du laboratoire Inserm-Irets (UMR 1085) de Rennes. Plus de 400 molécules sont concernées avec des sources d’exposition diverses : contamination alimentaire, usages domestiques, contaminations environnementales. Dans le cadre de cette étude, une liste de 140 molécules présentant un intérêt en contexte français a été élaborée. L’hypothèse, née d’un corpus grandissant de données scientifiques sur les pesticides, est que la grossesse constitue une fenêtre de vulnérabilité. 311 femmes vivant dans les régions du sud ouest ou du nord est ont été recrutées. Aux deux mois de l’enfant chaque mère a été soumise à un questionnaire relatif à ses usages domestiques, une mèche de cheveux de 3 à 9 cm a été prélevée et un géocodage des lieux de vie a été effectué. 122 molécules ont été détectées.

Pour la moitié des femmes, un minimum de 43 molécules a été mis en évidence. Le seuil minimum était de 25 et le maximum de 65. La permethrine (molécule qui provient d’une contamination autre que l’usage agricole, elle se retrouve dans les insecticides) présente une très forte concentration médiane. Cécile Chevrier s’est intéressée aux risques associés d’hypospadias et de cryptorchidie (malformations de l’appareil génital du garçon). Les résultats, préliminaires, ne sont pas encore validés.

Il y aurait un risque augmenté suggéré d’hypospadias en lien avec la culture de l’orge et en lien avec l’utilisation des produits anti-puces et anti-tiques mais aucun lien n’a été mis en évidence pour la cryptorchidie. Cecile Chevrier évoque « une suggestion d’un impact négatif sur les paramètres anthropométriques à la naissance en lien avec une exposition prénatale aux pesticides en population générale ». Elle parle ensuite d’une présomption forte pour les familles des organo phosphorés.
Il s’agit d’un travail exploratoire, sans hypothèse spécifique. « On réplique quelques résultats déjà connus. Nous identifions de nouvelles associations qu’on ne peut pas expliquer pour le moment, qui vont plutôt dans sens d’une augmentation du poids de naissance, avec une associations plus évidente pour les garçons. »
Dans les mèches de cheveux, il n’y a pas de grosses différences concernant les concentrations sur l’ensemble de la longueur. D’où cette interrogation en conclusion : s’agit-il d’expositions chroniques ou est-ce la matrice du cheveu qui étalonne l’exposition ? Les recherches vont se poursuivre.

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