Les dixièmes Assises de la protection de l’enfance ont consacré une table-ronde à la vision et au système des autres pays, parmi lesquels la Belgique, la Grande-Bretagne et le Canada. Des comparaisons instructives et éclairantes.

En matière de protection de l’enfance, sujet si complexe qui échappe difficilement à l’idéologie, comment font les pays dont les sociétés peuvent sembler équivalentes à la nôtre ? Jessica Seghers, responsable du service SOS-enfants de l’Office de la naissance et de l’enfance (One) de la fédération Wallonie-Bruxelles, explique que, comme en France, le repérage pose aujourd’hui moins de difficultés. « Même si dans nos chiffres, les enseignants restent peu présents ».
Problème corollaire à ce meilleur repérage : la demande augmente avec l’offre de services qui n’a pas la capacité de faire face. « Les modalités de la prise en charge restent une vraie question ».
Le manque de moyens demeure une préoccupation constante.

En Belgique, plus d’enfants repérés mais pas assez de places pour les accueillir

« Le nombre de situations augmentent, leur complexité aussi, précise Jessica Seghers. On voit des précarités multiples, des souffrances psychiques, en rupture avec le système de soins, des gens qui n’ont qu’un seul point d’ancrage ou rien du tout. En première ligne les travailleurs sociaux réceptionnent détresse humaine. » La saturation des réseaux psycho-sociaux et juridiques ont un impact direct. C’est pour soutenir ces travailleurs sociaux que l’Office de la Naissance et de l’Enfance a créé la fonction de référent maltraitance. Pour qu’ils améliorent leur connaissance fine du réseau. Les travailleurs sociaux accompagnent les familles dans la rencontre avec les partenaires pour obtenir des choses auxquelles elles ont droit.
Jessica Seghers fait aussi allusion aux « Bébés parqués », qui illustrent parfaitement l’encombrement des structures spécialisées. Ces enfants, de 0 à 7 ans, considérés comme en danger et retirés temporairement de leur famille ne peuvent être accueillis dans des pouponnières ou foyers, faute de place. Ils sont pris en charge à l’hôpital alors qu’ils n’ont pas besoins de soins pédiatriques et peuvent ainsi restés dans les services hospitaliers pendant des mois. « L’hôpital devient un lieu de placement, ce qui s’apparente à de la maltraitance institutionnelle » résume Jessica Seghers.

Plusieurs « lignes d’intervention » dans le système belge

La jeune femme détaille ensuite le fonctionnement du système, qui comporte plusieurs « lignes d’intervention ». Le secteur psycho médico social, c’est la première ligne. Il a un rôle de prévention et de prise en charge. L’ONE est l’entité fédérée. 800 travailleurs medico sociaux proposent du soutien à la parentalité, de l’accompagnement des mères et futures mères. Ils effectuent des visites à domicile et proposent un service universel.

Pour les situations à risque, 14 équipes « SOS enfants » assurent la prévention et la prise en charge (certaines sont intra hospitalières). Il existe cinq service d’accompagnement périnatal pour les familles qui présentent des vulnérabilités. Les équipes vont au domicile. « Elles font le pari de la qualité. Elles voient peu de familles mais font un accompagnement intense. » Si les difficultés se révèlent trop prégnantes, la seconde ligne entre en action : il s’agit du service d’aide à la jeunesse. Lui aussi privilégie la déjudiciarisation. Le service favorise la collaboration avec la famille, tente de maintenir l’enfant dans son milieu de vie tant que c’est possible. Si la familles est d’accord, l’intervention se maintient comme ça. Si aucun accord n’est obtenu mais que l’aide est jugée indispensable, le parquet est contacté. La situation peut à tout moment retourner dans l’aide volontaire. Lors d’une précédente table-ronde, Adeline Gouttenoire, présidente de l’Observatoire de la Protection de l’Enfance de Gironde, a exprimé des réserves sur la prééminence donnée à l’accord de la famille, accord qui suffirait à exclure le recours au juge. Pour elle, cette condition empêche de sortir de mesures d’aide éducative qui ne marchent et ne suffisent pas.

Jessica Seghers, elle, estime qu’un tel système ne peut fonctionner que « si les différents acteurs collaborent, savent qui fait quoi, dans quels délais intervenir. » Les protocoles de collaboration entre les différents secteurs sont des outils personnalisés.
Elle évoque ensuite la « Commission de coordination d’aide aux enfants victimes de violences »  qui rassemble les 1ère, 2e et 3e ligne. Il y a tout le monde, y compris magistrats. Ces commissions sont organisées localement, elles sont autonomes. « Quand on voit qu’une thématique est abordée dans plusieurs commissions, une commission de pilotage fait remonter au politique. »

Réponse au documentaire français sur « les enfants volés d’Angleterre »

Après la Belgique la parole est donnée à la Grande Bretagne. Harriet Ward, professeur spécialiste de la recherche sur l’enfance et la famille à l’université de Loughborough au Royaume-uni, vient défendre un système souvent contesté car considéré comme trop radical. Elle commence par évoquer le documentaire français « Les enfants volés d’Angletrre » diffusé sur France 5 en novembre 2016 et qui suscité de vives réactions en France, sur les réseaux sociaux, mais aussi en Grande-Bretagne où les défenseurs et opposants de l’actuel système ont diversement accueilli le film. Le propos des réalisateurs était de montrer comment des enfants sont retirés arbitrairement de leur famille, sur de simples suspicions, pour être ensuite proposés à l’adoption sans le consentement de leurs parents, ce qui permettait de répondre à la politique de quotas en matière d’adoption. Il est vrai que l’Angleterre est un des rares pays développés à ne pas recourir à l’adoption internationale puisque la quasi totalité des enfants adoptés sont des enfants anglais.
« Moi aussi j’ai été horrifiée par ce documentaire, commence Harriet Ward. Mais il existe des réfutations de ce film qui serait rempli de fausses déclarations et de distorsions. Je suis plutôt du côté des réfutations mais il y a quand même un grain de vérité. Nos agences ne sont pas chargées de faire adopter les enfants. Ce qui est vrai en revanche: l’objectif est vraiment de réduire le temps qui passe entre le début et la fin du processus de prise en charge. » Elle déplore un « climat propice à présenter l’adoption comme un complot ». « Mais il n’y a aucune preuve que ces adoptions arbitraires arrivent de façon systématique. L’effet pervers de ce type de film c’est que les parents ont peur de demander de l’aide, et ça n’aide pas les enfants. »

Le Children Act contre l’approche familialiste

Elle revient sur le « Children Act » la loi qui a réformé la protection de l’enfance en 1989 et qui pose que le juge peut prendre un enfant en charge s’il souffert de dommages significatifs ou qu’il existe de graves risques qu’il en subira ou s’il n’a pas reçu les soins attendus de parents raisonnables. Harriet Ward essaie de défendre ce système qui apparaît comme l’exact contre point de l’approche française, beaucoup plus familialiste.
« Avant on ne pouvait pas séparer un enfant de ses parents avant qu’il ait souffert de dégâts extrêmes. Aujourd’hui si une famille s’est vue retirer tous ses enfants et qu’un autre bébé arrive, on peut séparer sans attendre que le développement du bébé soit abîmé. Les intervenants ne prennent pas les décisions tout seuls. C’est un long processus, avec beaucoup de contre poids. Les professionnels essaient d’autres possibilités avant de lancer l’adoption. Les parents et enfants ont droit à un avocat gratuit. » Quid des adoptions imposées ? « Oui c’est vrai qu’on fait des adoptions sans le consentement des parents. 2500 enfants sont adoptables chaque année. La moitié des enfants qui sortent du système en étant adoptés le sont avec le consentement de leurs parents. »

Harriet Ward assume parfaitement les différences de philosophie avec la vision française : « On ne donne pas autant de poids aux liens du sang, aux liens biologiques. L’intérêt de l’enfant est favorisé plus que l’intérêt des mères. Notre loi dit qu’il faut garder l’enfant chez ses parents autant que possible. Car un enfant va mieux s’il reste dans sa famille. Mais certains sont en danger. On a connu des tragédies. Nous avons développé la recherche. Trop d’enfants restent dans des situations de danger à cause du principe familialiste. Si on attend que les enfants reviennent chez les parents, qu’on réfléchit seulement en terme de placements temporaires à court terme, beaucoup d’enfants vont d’un placement à un autre parce qu’à chaque fois c’est censé être temporaire. A 18 ans ils n’ont de bonnes relations avec personne. » Ce sujet est au cœur des réflexions et débats récurrents en France depuis 30 ans, comme nous l’avions rappelé dans cet article sur les enfants délaissés.

La recherche internationale montre à quel point le développement de l’enfant est compromis par les négligences, poursuit Harriet Ward. Les enfants mis à l’adoption vont mieux que les enfants placés. C’est comme un pendule. On trouvait que le pendule allait trop vers les parents. Sans doute il y a des injustices. Mais on en avait auparavant, enfants avec développement compromis car laissés en danger.” Elle cite une étude effectuée auprès d’enfants signalés en grave danger dès la naissance. Ils ont été suivis de la naissance à l’âge de 8 ans et ont tous été laissés dans les familles. Un quart des familles ont beaucoup changé. Les autres non. Le développement de l’enfant a été de plus en plus compromis. Or, explique-t-elle, il est difficile de distinguer les parents qui vont développer les capacités de changer et ceux qui n’auront pas ces capacités dans un temps adapté aux enfants.

Le Children Act  a rendu obligatoire d’offrir des services à chaque enfant qui en a besoin. L’idée centrale est qu’on n’attend pas que la santé ou le développement soient gravement compromis pour agir. « Le cadre développemental, c’est notre grande force. »

En Angleterre l’impact de plus en plus délétère de la pauvreté

Le Children Act a introduit des changements conceptuels. « La première chose c’est qu’on change la question qu’on pose. On ne demande plus « cet enfant a t il été maltraité ? Qui est le responsable ? » Mais « Quels sont les besoins de l’enfant et de sa famille et comment les professionnels peuvent les aider ? » La responsabilité ne reste plus sur les seules épaules des travailleurs sociaux. Les professionnels doivent inclure les parents.» La famille peut être soutenue par de larges gammes de services, des services de santé jusqu’aux services spécialisés. Les familles d’accueil et d’adoption sont vues comme une partie du système qui va contribuer au développement de l’enfant.
« Les abus et négligences peuvent devenir un problème de santé publique et pas juste un problème où on blâme les parents. »

Harriet Ward pointe les changements positifs : une meilleure compréhension des besoins des enfants et des parents, un meilleur d’entraînement, un système d’évaluation fiable dont tout professionnel doit se saisir, davantage de collaboration, d’intégration. Elle n’omet pas les points négatifs :
« on n’a pas vaincu les tensions entre professionnels. Chacun a un seuil de gravité différent. Les professionnels de santé, les éducateurs pensent en général que la situation est plus grave qu’un intervenant social. Le système judiciaire n’est pas inclus dans tout ça. On pense que la justice doit se mettre à l’écart. Il y a trop de bureaucratie. » Elle déplore aussi la grande instabilité des placements, avec des interventions trop hachées, trop ponctuelles et des programmes d’austérité qui ont supprimé beaucoup de services de soutien aux familles. A la question de l’impact de la paupérisation sur la protection de l’enfance, elle répond : « Oui, on a beaucoup de pauvreté. On voudrait que les enfants restent chez eux mais on ne donne pas assez d’argent aux familles. Alors elles ne peuvent qu’échouer. Elles n’ont pas assez de ressources matérielles. Les tensions dans les familles deviennent de plus en plus graves, avec de plus en plus de toxicomanie et de dépression. La pauvreté rend la maltraitance de plus en plus probable. »

Le Québec mise sur sur la responsabilité collective

Le québécois Carl Lacharité, ancien travailleur social devenu professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, explique que contrairement à la France, le Quebec a une approche très « bottom-top » : « On part de ce qui se fait et les lois viennent confirmer, orienter. Le rapport à la justice est différent. On est moins prescriptif. La justice est saisie dans des situations où un crime a été commis ou alors dans les situations où il n’y a pas d’accord avec les familles. »
D’après lui, “ ça donne un dispositif où il y a quand même une autorité sociale.” “Chez nous il y a un directeur de la protection de la jeunesse qui a pour mandat de faire appliquer les lois. Chaque directeur a un service juridique pour le guider. Notre volonté est de mettre en place le meilleur partage des responsabilités collectives autour d’un enfant. Une situation de protection est considérée comme un échec de la responsabilité collective.”

Carl Lacharité explique : « La première chose qu’on constate dans une situation de maltraitance c’est l’effondrement de cette organisation sociale. Elle se produit au Quebec en plusieurs endroits. La Pauvreté est un élément très corrosif de cette capacité à penser collectivement un enfant. Quand il n’y a qu’une personne qui se soucie d’un enfant, ce n’est pas assez. On a une conscience assez aiguë de l’importance du collectif. » Il affirme qu’au Québec les « liens faibles » comptent beaucoup plus, il y a moins d’indifférence aux autres. L’interdépendance, la cohésion, devient un réflexe « Et dès lors le rapport à la vulnérabilité est différent chez nous ».
Ces trois interventions, sur trois systèmes très différents dans leur philosophie et leur mise en oeuvre ont en tous cas permis de mettre en évidence à quel point la corrélation entre la question de la pauvreté et la problématique de la protection de l’enfance revient sans cesse au cœur des débats. Avec de façon implicite, cette idée que mettre fin à la pauvreté permettrait de mettre fin à la maltraitance ou aux négligences. Dans un pays comme la France où un enfant sur cinq est en situation de pauvreté, il va malheureusement falloir attendre encore un moment avant d’en avoir le cœur net.