La séance plénière venue clore le 12ème colloque international de l’Association pour la Recherche et l’Information en Périnatalité (ARIP) a traité de « l’attention citoyenne portée au bébé et à ses parents ». Animée par Patrick Ben Soussan, elle a réuni Chantal Zaouche et Gérard Neyrand.

Avec Chantal Zaouche, médecin, professeur de psychologie de l’enfant à l’Université Toulouse Jean Jaurès, spécialisée sur la question des inégalités sociales de santé en périnatalité et au cours de la petite enfance, le langage fleuri voire ésotérique de la psychanalyse a été laissé de côté pour la froide réalité des chiffres.
« Beaucoup d’avancées ont été réalisées dans notre pays en terme de santé mais le nombre d’enfants pauvres n’a pas faibli depuis 10 ans, commence-t-elle. A l’époque ils étaient deux millions, aujourd’hui ils sont trois millions. » (sujet que nous avons traité récemment). Et quatre millions d’enfants seraient concernés par les violences conjugales. En 2015, on a compté 33 décès d’enfants dans le cadre de violences conjugales. L’objectif d’accueil de 10% d’enfants pauvres dans les crèches n’est pas atteint. Les maltraitances et négligences concernent 88.000 enfants, 10% de plus qu’il y a 10 ans. « Les conditions de vie des enfants réfugiés sont inacceptables » (voir notre article sur le sujet).

L’accroissement des inégalités pèse sur la santé des plus fragiles

Chantal Zaouche se penche ensuite sur les inégalités sociales de santé (sujet que nous avons également abordé récemment). Les populations défavorisées sont davantage touchées par les symptomatologies ORL, les angines, l’asthme. « Le mal logement se transmet et se respire ».
Elle énumère aussi les problèmes oculaires, les atteintes dermatologiques, le saturnisme (5300 enfants en France) qui entraîne une diminution des performances scolaires. Certains de ces effets sont irréversibles. L’obésité est devenue le nouvel indice de la pauvreté puisqu’elle est trois à quatre fois plus importante en milieu précaire que dans population générale. Il s’agit de « corps trop pleins qui entraînent le vécu de situations humiliantes ». Les urgences pédiatriques sont en augmentation chez les enfants en situation de pauvreté.
Chantal Zaouche procède à un arrêt sur image sur le mal logement : 3,5 millions de personnes sont non logées ou très mal logées. Au total 10 millions de personnes sont touchées par la crise du logement. D’année en année la situation se détériore. « Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas bougé dès 2004 quand l’alerte a été donnée ? » interroge-t-elle. La notion de mal logement illustre comment peuvent advenir les difficultés affectives et cognitives. L’exiguïté de l’espace vital entraîne une ingérence dans l’intimité de chacun, une contraction des espaces psychiques. « L’espace physique est restreint et l’espace psychique contraint ». Or, les enfants ont besoin de moments de solitude, de calme, de silence pour laisser libre cours à leur imaginaire. « L’espace-temps, l’espace-lieu, le vivre en silence sont-ils devenus des produits de luxe ? »

Les effets de la violence conjugale sur les femmes et leurs enfants

Chantal Zaouche propose un second développement sur les enfants exposés aux violences conjugales. « Ils ne sont toujours pas considérés comme des victimes ».
Dans les pays anglo saxons et au Québec (là où les études sont disponibles), les premiers épisodes de violence démarrnte pendant la grossesse ou augmentent au cours de cette période. « Le cycle de la violence est une béance traumatique ». Les femmes espèrent que la venue de l’enfant va faire cesser les violences. D’autres peuvent elles mêmes attaquer le fœtus. Certaines se saisissent de ce moment pour porter plainte.
Le fœtus court un risque de traumatisme direct. Et de traumatisme indirect : la sensorialité est atteinte par les interactions biologiques. Les résultats actuels montrent que cet élément délétère entraîne des conséquences néfastes au niveau des synapses. Ce n’est pas irréversible si on améliore l’environnement. Dès les premiers mois de la vie on sait que les liens peuvent devenir dysfonctionnels si la mère n’est pas en mesure d’assurer les besoins vitaux de l’enfant. Le nourrisson va subir dès la naissances les difficultés de réciprocité des liens.
Ces femmes violentées ont des céphalées, des douleurs de dos, du ventre, une mobilité réduite, des troubles dépressifs ou du sommeil. Les premières relations en sont affectées. L’attachement des enfants est perturbé et ils apparaissent désorganisés, désorientés. Toute la prime enfance est impactée avec des nuits agitées, des cauchemars qui obèrent la pensée, des troubles de l’alimentation, une fatigue intense, des troubles allergiques, de l’asthme. Face à ce tableau clinique, le médecin enjoint ses confrères à se demander à chaque fois si ces enfants ne sont pas exposés aux violences conjugales. « Il n’y a pas de données épidémiologiques en France car les enfants exposés ne font pas partie des priorités ni en terme de recherche ni en terme de politique », déplore Chantal Zaouche. « Il est temps qu’on se préoccupe davantage de ces enfants

Le conjoint violent peut-il rester père ?

Après cette nécessaire immersion en noir pays, une pédiatre présente dans la salle prend la parole :
« Il y a une conception qui me perturbe dans certains services ASE où on considère que l’homme maltraitant avec sa femme n’est pas un homme maltraitant avec ses enfants. On voit des procédures où un père qui doit indemniser son ex conjointe va néanmoins avoir droit à une résidence alternée. Il me semble paradoxal de dire qu un père capable de frapper sa compagne soit la meilleure solution possible pour ses enfants. Cela n’aurait il pas un effet dissuasif si les pères voyaient remise en cause leur garde alternée ? »

Chantal Zaouche répond : « Je ne suis pas favorable au fait d’évincer le père. Chaque situation doit être étudiée au cas par cas. La question doit être posée, pas évacuée. Le père est souvent mis de côté. On met la mère en centre d’hébergement pour la protéger et l’enfant ne voit plus son père après. Cette question doit être examinée attentivement. » Elle cite une étude qui montre que même dans ces contextes les enfants sont souvent très attachés à la figure paternelle.
La pédiatre reprend la parole : « Je suis pédiatre libérale, je vois des « parents standards », qui n’ont pas de recours à des systèmes sociaux, des femmes qui n’osent pas aller très loin. Les pères maltraitants ont un profil particulier, ils ont tendance à être très revendicatifs par rapport à la justice. »
Une autre participante qui se présente comme « analyste » rebondit : « la psychanalyse peut apporter des réponses avec la notion de clivage. Je me risquerais à dire qu’un homme violent peut être un bon père ».
Précisons malgré tout que dans son rapport pour l’ONED de 2012, la sociologue Nadège Severac écrit : « les recherches sur les populations d’enfants maltraités montrent en effet une forte association entre la maltraitance directe de l’enfant et l’existence de violence conjugale entre les parents ». Dans le département des Hauts-de-Seine par exemple (ni le plus pauvre ni le plus riche d’Ile de France), 80% des enfants sous mesure de protection de l’ASE sont des enfants ayant été exposés aux violences conjugales. Le clivage et la psychanalyse ont leurs limites.

Le législateur a lui estimé, comme cette pédiatre intervenue pour lancer le débat, qu’on pouvait émettre des doutes sur les qualités paternelles d’un mari violent. La loi du 4 août 2014 pose qu’en cas de crime ou délit commis contre son conjoint l’éventualité du retrait partiel ou total de l’autorité parentale doit être systématiquement envisagée. Le sujet est hautement polémique. Gérard Neyrand soumet au public le livre « un homme violent peut-il être un bon père ? » de Benoît Bastard, autre sociologue, très opposé aux nouvelles modalités législatives.

Rapport de l’INSERM de 2005 : le trauma toujours là

Il prend ensuite le micro pour un exposé sur le bébé et la politique. « Le bébé est politique » commence-t-il même. « Il est le produit et l’instigateur de politiques
Il s’interroge ensuite sur ce que représente une attention citoyenne. La citoyenneté est une « citoyenneté scientifique ». Il rappelle la lutte contre les nourrices mercenaires, la promotion de l’allaitement, la promotion de la médecine moderne. Mais l’utilisation du scientifique comme principe de légitimité devient de plus en plus complexe car les sciences humaines et sociales développent des polémiques importantes. « Il y a des conflits de représentation autour du bébé. » Gérard Neyrand fait le constat de « la volonté d’une réflexion éthique ».  En arrière fond apparaîtrait la crainte diffuse que quelque chose d’une attention prévenante se perd avec des attitudes plus rigoristes. « Cette crainte n’est pas irrationnelle », affirme Gérard Neyrand. Il évoque le rapport de l’ INSERM de 2005 sur les troubles des conduites et la tentative de récupération du Ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Puis la « réponse qualifiée de citoyenne » qui a suscité une large adhésion, c’est à dire le collectif « Pas de zéro de conduite ».
« La science n’est pas neutre », affirme Gérard Neyrand. Il rappelle l’opposition entre les tenants de la psychiatrie à l’américaine et les représentants français. Et oppose « prévention prédictive » et « prévention prévenante ». (Nous avons relaté cette controverse qui n’en finit pas dans plusieurs articles : ici, ici et ici.)

Trop de “parentalisme” dans les discours

Le sociologue poursuit en expliquant que les années 1998-2016 ont été l’occasion de « mettre en évidence les incertitudes du politique quant à la meilleure façon de prendre en compte le jeune enfant ». Les REAAP ont montré en quoi le soutien des parents est devenu essentiel, il existe donc une nécessité structurelle de les soutenir. Il soulève l’implication croissante des institutions dans les dispositifs de soutien à la parentalité. Malgré les alternances politiques, les REAAP n’ont pas été remis en question en France.
Gérard Neyrand aborde ensuite le débat approche universaliste versus prévention ciblée:
« Faut-il soutenir les parents en général ou les pauvres, les plus désaffiliés ? » Il rappelle la tentation de la première moitié des années 2000 à se focaliser sur le contrôle et la formation des parents dont les enfants posaient problème dans l’espace public. « Mais qui est responsable de la formation des parents ? Qu’est ce que la responsabilité éducative ? » (voir notre article sur les modalités encore controversées de l’accompagnement à la parentalité). Il y a une insistance du discours social, relève-t-il : les parents seraient les seuls responsables de l’éducation de leurs enfants, surtout lorsque ceux ci posent problème. « Pourquoi un tel parentalisme dans les discours ?» Le sociologue y voit « la conséquence de l’évolution d’une société devenue profondément néo libérale qui prône le management comme moyen de gestion des individus, considérés comme responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent ». « On oublie que leur situation est aussi le résultat des rapports sociaux.»

Gérard Neyrand entend donc déconstruire « cette logique pernicieuse de beaucoup de discours médiatiques pour rappeler 3 choses » :
– Toute éducation est une co-éducation
– La position éducative des parents est tributaire des rapports sociaux, de leur environnement, de la situation de leur vie
– La façon dont les enfants sont formés et socialisés dépasse très largement le cadre des stratégies éducatives conscientes. Il y a transmission par imprégnation des codes, des valeurs, des façons de vivre d’une société. Et une influence énorme des médias dans la socialité contemporaine.
Il conclut qu’il s’agit donc d’être prudent quand on soutient les parents et qu’il est préférable de les inclure dans une co-éducation prévenante plutôt que de chercher à se décharger sur eux.