Un peu plus d’un an après son installation par Laurence Rossignol, le Conseil National de la Protection de l’Enfance remet une première série d’avis. Composée de 82 membres, cette instance a  notamment pour objet de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance dans le but de construire une stratégie nationale. 

Le Conseil National de la Protection de l’Enfance, installé en décembre 2016, vice-présidé est Michèle Créoff, vient de publier ses premières recommandations. Elles portent sur plusieurs thématiques, dont l’adoption. Il est par exemple proposé de « rendre obligatoire dans la loi la participation des candidats à l’adoption aux réunions d’information » organisées par les services départementaux. Le CNPE préconise également le caractère obligatoire du bilan d’adoptabilité pour les enfants pupilles de l’Etat, « dès lors qu’une adoption est envisagée par le service gardien ».

Partir des besoins de l’enfant pour mieux repérer les situations à risque

L’instance s’attaque ensuite à un sujet complexe : le repérage précoce « de l’inadéquation des réponses aux besoins de l’enfant » (on note au passage que la problématique est désormais posée ainsi, depuis la démarche de consensus de 2016 : il s’agit bien de partir des besoins de l’enfant et de s’interroger sur les réponses parentales qui leur sont apportées).  Le CNPE propose que « des indicateurs de vulnérabilité, rattachés à des cadres théoriques référencés, des enfants et des situations familiales soient élaborés dans le cadre d’un travail interdisciplinaire et interinstitutionnel».

Il est ainsi suggéré, afin d’améliorer la qualité des évaluations des situations des enfants et des jeunes majeurs, la mise en place d’un « cadre de référence d’évaluation » ayant une dimension nationale. « En effet, note le CNPE, le déploiement de références partagées et actualisées au plan national ne doit pas empêcher la diversité des approches. » L’évaluation demeure une problématique sensible en protection de l’enfance, comme nous l’avions souligné dans cet entretien avec la sociologue Nadège Séverac (qui a participé à la rédaction du rapport issu de la conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant). Le Conseil liste les caractéristiques qui lui semblent pertinentes pour l’élaboration de ce cadre de référence d’évaluation:

– prendre en compte les travaux de recherche les plus récents liés aux besoins fondamentaux de l’enfant ;
– permettre un continuum dans les actions mises en place auprès de l’enfant et du jeune de l’adolescent ;
– prendre en compte les besoins de l’enfant, au regard de son âge, de son développement et de sa singularité ;
– identifier les capacités des figures parentales et de les ressources de l’environnement de l’enfant et de l’adolescent pour les mobiliser dans le projet d’accompagnement (sujet qui a été abordé lors du récent colloque de l’UNAF sur l’entraide familiale);
– Connaître et analyser les données du contexte familial, social et culturel susceptibles d’influer sur les réponses à ces besoins (facteurs de risque et de protection) ;
– assurer une implication participative des acteurs (enfants et parents), pour une confrontation des points de vue tout au long du processus.

Attachement, impact des traumas et négligences: une formation à consolider

Le CNPE consacre une partie non négligeable de ces recommandations à la formation. Car pour bien évaluer encore faut-il être bien formé. Les récentes conclusions des experts sur les besoins fondamentaux de l’enfant protégé sont présentées comme étant incontournables : « Nourrie par des travaux scientifiques nationaux et internationaux, cette démarche a abouti à une vision partagée des besoins universels de l’enfant qu’il est indispensable de décliner dans les contenus des formations initiales, continues et d’adaptation à l’emploi de l’ensemble des professionnels intervenant directement ou indirectement auprès des enfants. »
Plus largement, le Conseil enjoint à développer dans les formations initiales des travailleurs sociaux des connaissances partagées sur le développement affectif, cognitif et psychomoteur de l’enfant, les conséquences des violences et négligences sur le développement de ses capacités, les freins au repérage des maltraitances faites aux enfants. Il appelle à « veiller, dans les diplômes de niveaux 3, à développer les approches par les droits et les besoins des enfants, transmettre les enjeux de l’attachement, mieux prendre en compte les conséquences des traumas, former à l’évaluation des situations en protection de l’enfance (analyse des besoins de l’enfant, des capacités parentales, des ressources mobilisables…), travailler les spécificités de l’accompagnement des enfants vulnérables (construction d’une relation sécure, approches pluri professionnelles, cadre de l’aide contrainte…) ».

Le CNPE propose un socle commun de formation pour l’ensemble des cadres en protection de l’enfance qui devra nécessairement intégrer des apports cliniques et sociologiques sur les besoins fondamentaux, les besoins spécifiques et particuliers de l’enfant (développement psychoaffectif, bien être de l’enfant, hygiène de vie, impact du quotidien sur son développement et sa santé), les conséquences des violences, négligences ou de réponses de protection inadaptées sur le développement de ses capacités, la connaissance des publics concernés par l’intervention, de leurs caractéristiques socio-démographiques et de leur parcours de vie, les approches écosystémiques et les réseaux de sociabilité, la gestion et la prévention des situations de violence.

Saturation des services et non garantie des besoins fondamentaux des mineurs non accompagnés

Autre sujet incontournable dont s’est saisi le Conseil : les mineurs non accompagnés (MNA). Les chiffres concernant ces jeunes accueillis à l’Aide sociale à l’enfance sont éloquents :10 000 au 31/12/2015, 13 000 au 31/12/2016, 25 000 en prévision au 31/12/20171. Concernant le flux, les arrivées augmentent aussi chaque année : 5 990 en 2015, 8 054 en 2016 et 14 900 en 20172. Le CNPE évoque donc la « saturation voire l’inadaptation des dispositifs de mise à l’abri, qui n’ont pas pu augmenter en proportion des flux d’arrivée » et pointe le « manque d’homogénéisation des pratiques d’évaluation malgré des textes qui ont gagné en précision ». « L’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés accueillis par les conseils départementaux rend plus difficile l’accueil dans de bonnes conditions », ne peut que constater le CNPE qui insiste : « S’agissant d’un dispositif d’accueil et d’évaluation de personnes pouvant être mineures, et quelle que soit la proportion effective de mineurs recensés en fin d’évaluation, il convient que ce dispositif de mise à l’abri et d’évaluation soit amélioré pour assurer le respect de leurs droits et de leur protection et corresponde ainsi, aux garanties attendues pour l’accueil de mineurs. » En d’autres termes, « la mise à l’abri, donc l’hébergement doit être immédiate, la réponse aux besoins fondamentaux des personnes accueillies doit être garantie , qu’il s’agisse de besoins de soin, d’apprentissage de la langue, de l’octroi d’un titre de séjour, d’une autorisation de travailler. » Le CNPE propose aussi « d’intervenir auprès des autorités des pays d’origine pour maintenir autant que faire se peut, dans le respect de la sécurité du mineur, notamment s’il bénéficie du statut de demandeur d’asile puis de réfugié, les liens avec sa famille restée au pays d’origine. »

Non à la systématisation de la résidence alternée

Le CNPE proposera également un avis au gouvernement visant à encourager le dépôt d’un projet de loi interdisant toutes formes de violences à l’encontre des enfants et se positionne en faveur du maintien du pécule des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance. Le Conseil se prononce enfin contre la systématisation de la résidence alternée. « Réponse concrète au respect du droit de l’enfant au maintien des liens avec ses deux parents, elle a été dévoyée par les parents qui placent le débat sur le plan de l’égalité de leurs droits au lieu de celui des besoins de l’enfant », tacle le Conseil pour qui « le systématisme contrevient par définition à la recherche de l’intérêt l’enfant, puisque la question de la satisfaction de ses besoins au cas par cas n’est pas posée ».

Le CNPE s’inquiète également que la systématisation porte un risque trop grand de mal prendre en compte, voire de passer à côté des situations de violence. En l’occurrence, sur ce sujet comme sur les autres, un petit détour par la littérature scientifique peut se révéler utile. D’après les données de la recherche (plus ou moins robustes selon les études), la résidence alternée, lorsqu’elle est possible sur un plan pratique, apparaît bien comme l’organisation la plus susceptible de garantir l’intérêt et le bon développement de l’enfant (y compris des plus petits), à deux exceptions près : la violence conjugale, en effet, et le fait que l’enfant manifeste un sentiment de rejet vis-à-vis de l’un des deux parents.