Parce que tous les rapports récents sur le sujet l’ont réclamé, parce que la loi du 14 mars 2016 l’a acté, parce qu’un cadre national apparaissait nécessaire, la Ministre des Familles vient de rendre effectif le Conseil national de protection de l’enfance.

Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), dont la création a été actée dans le 1er article de la loi du 14 mars 2016 réformant la protection de l’Enfance, vient d’être officiellement installé par la Ministre des Familles, Laurence Rossignol.

Sortir la protection de l’enfance de l’invisibilité

Cette dernière explique notamment qu’elle a voulu faire de la loi initialement proposée par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini « le véhicule législatif d’une grande réforme de protection de l’enfance », et ce malgré les les avertissements de son entourage. « On m’a dit : politiquement ça ne rapporte rien, c’est un sujet difficile, avec une visibilité collective faible. C’est justement en raison de cette visibilité faible que j’ai souhaité utiliser ma fonction et mon poste pour sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques.» La Ministre souligne fort à propos qu’un président de conseil départemental n’est jamais réélu sur sa politique de protection de l’enfance. « On sait tout des routes, des carrefours, des ronds points. Mais ce que fait le département sur la protection de l’enfance, on est bien en peine d’en débattre.» Il s’agit de poser un cadre national, sans entamer le champ de compétences des départements qui « restent les chefs de file de la protection de l’enfance ».

Du tout placement au tout lien familial

Laurence Rossignol rappelle également les mouvements de balancier qui ont scandé l’histoire de la protection de l’enfance : la période du « tout placement » jusqu’au rapport Bianco-Lamy, dans les années 80, puis la prééminence du maintien des liens et de l’approche « familialiste ». Au cœur de ces mouvements de balancier figurent les débats vifs, et récurrents, sur les enfants « délaissés », les déclarations d’abandon, et sur ce curseur si difficile à positionner entre droit des parents et droit de l’enfant. Il faut noter à cet égard que Michèle Creoff, Directrice générale adjointe au Conseil Général du 94, vice-présidente du CNPE, et Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny (et membre du CNPE au nom de l’UNIOPSS), défendent deux approches radicalement différentes.

Sur le plan législatif, la Loi du 5 mars 2007 était venue actée le partenariat avec les familles, la loi du 14 mars 2016 a eu pour objectif de ramener l’enfant au centre des problématiques. « On a cherché une philosophie qui parte non pas des besoins de l’institution ou des droits des parents mais des besoins de l’enfant », pose la Ministre. Elle évoque « tout ce qu’on a appris ces dernières années sur la théorie du lien ». Et signale un regret : « je n’ai pas pu mener de réflexion globale sur l’adoption ». En effet, la question de l’adoption simple, perçue comme un outil de protection des enfants sans rupture définitive du lien avec la famille biologique, a vite été exclue des débats parlementaires. La Ministre conclut en rappelant l’un des rôles attendus du CNPE : harmoniser les politiques territoriales. « Il faut garantir que sur le territoire de la République tous les enfants bénéficient des mêmes chances ».

Michèle Creoff prend ensuite la parole pour énumérer les objectifs assignés au CNPE, défini comme « un espace de partage, de confrontation de points de vue, de vision prospective ». Le CNPE est censé « assister le gouvernement en rendant des avis sur les textes législatifs et réglementaires et sur toute autre question dont il sera saisi, orienter les études stratégiques et prospectives, proposer une recherche évaluative de des politiques ».

Mieux prendre en charge la santé des enfants protégés

Les membres invités à siéger sont ensuite appelés à formuler leurs priorités en matière de protection de l’enfance. Céline Raphaël, médecin, elle-même victime de maltraitances pendant l’enfance suggère d’améliorer le volet santé physique et psychologique des enfants placés « pour limiter à long terme les effets de la maltraitance (par excès ou par défaut) ». Fabienne Quiriau, de la CNAPE, formulera la même préconisation. Sur cette même ligne, Georges Picherot, de la Société Française de Pédiatrie, appelle à soutenir les travaux de recherche « pour savoir ce que deviennent les enfants sur le plan de la santé ». Il évoque le concept de maladie chronique. Le sujet est, il est vrai, abondamment documenté dans la littérature scientifique internationale (voir nos récents Pueriscope, notamment le dernier), mais assez peu en France. Une pédopsychiatre de la Fédération Française de Psychiatrie livre de son côté un témoignage où pointe une colère désabusée : « Nous suivons des enfants placés précocement pour lesquels on anticipe une rupture prévisible à l’adolescence. Le diagnostic est fait mais les mesures prises ne permettent pas d’accompagner ces enfants. Il s’agit de ruptures programmées. D’où l’importance de la permanence d’un adulte référent. Parfois les secteurs de pedopsychiatrie sont les seuls à connaître durablement un enfant» Elle insiste également sur les enfants « incestés » qui sont à risque majeur d’explosion à l’adolescence.

La prévention spécialisée, dossier sensible

Jean-Pierre Rosenczveig insiste de son côté sur la prévention spécialisée qui doit être un axe fort des stratégies des pouvoirs publics et territoriaux. « Il faut afficher haut et fort que les jeunes en difficulté issus de familles fragiles sont capables de basculer vers les mafias mais aussi vers le djihad. On assiste à une fracture sociale et culturelle. » Pour autant, alerte-t-il, « la prévention spécialisée peut être instrumentalisée au nom de l’ordre public ». Or, les éducateurs« ne sont pas des flics sociaux qui vont aller informer. »

Philippe Lemaignent, du comité national de liaison des acteurs de prévention spécialisée, estime qu’en la matière « on a besoin d’un référentiel ». « Aujourd’hui, la prévention spécialisée n’est pas une dépense obligatoire. C’est une variable d’ajustement. Il y a un besoin de cohérence ». (Sur le sujet, voir les vidéos de la mission d’information de l’Assemblée Nationale sur l’avenir de la prévention spécialisée)

Un fort besoin de formation

Edouard Durand, magistrat, demande une articulation de la protection de l’enfance sur les besoins fondamentaux de l’enfant et propose de ne plus confondre quatre registres distincts, la filiation, autorité, le lien et la rencontre. Il suggère également de faire attention aux contenus de la formation. Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation Nationale des Educateurs Spécialisés, lui emboîte le pas. Il évoque la fermeture de nombreux centres de formation, la rareté des formations qualifiantes et diplômantes et considère que l’actualisation des connaissances est une priorité. Il estime que les professionnels sont formés sur la mise œuvre de dispositifs et moins sur l’accompagnement de l’usager. Et que « plus on se rapproche de l’usager et moins on est formé ». Une sous-directrice de la mission de la PJJ auprès du ministère de la justice prône quant à elle un renforcement des formations à l’évaluation afin que tous les professionnels, dans toutes les disciplines, se dotent d’outils communs et partagés.

La prévention précoce et la prise en compte de la temporalité pour les jeunes enfants

Georges Picherot, pédiatre, propose de mettre le focus sur « le temps qui précède ou suit la naissance », en trouvant la juste distance entre « prévention et ingérence ». Ils s’agit « d’un équilibre très difficile dans la prévention précoce ». Françoise Molénat, pédopsychiatre à qui on doit l’entretien prénatal précoce (entretien du 4ème mois), renchérit : “c’est dès la grossesse, en ouvrant le dialogue avec les futurs parents, dans la confiance, qu’ils vont pouvoir indiquer les facteurs de vulnérabilité. Il faut opérer un décloisonnement entre le monde médical de la grossesse naissante, quand les professionnels sont dans un contexte de soin, de protection médicale et que les parents sont en confiance. Il ne s’agit pas de contrôle mais d’ouverture et d’accompagnement, dans la bienveillance. » Joëlle Voisin, présidente de l’Agence Française pour l’Adoption, revient elle aussi sur la nécessité d’une prévention primaire, via, notamment les Lieux d’Accueil Enfants Parents.

Jean Marie Muller, président du Réseau national des association des personnes ayant été accueillies en protection enfance, revient de son côté sur « l’intérêt des révisions de situation en temps et en heure », faisant allusion à l’article de la loi de 2016 qui fait obligation de revoir tous les six mois la situation des enfants de moins de deux ans et celle des enfants placés depuis plus de deux ans. Il insiste sur la nécessité de préparer en amont les sorties du dispositif. Olivier Hiroux, de l’association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille, appelle lui aussi à « mettre la focale sur les très jeunes enfants » pour lesquels la temporalité est primordiale. « Plus l’entrée dans le dispositif est tardif, plus les effets sont délétères ». Il s’appuie notamment sur l’étude de Daniel Rousseau pour l’INED.

Pauvreté, exclusion, et protection de l’enfance

Christine Ducourant, d’ATD Quart Monde, insiste en toute logique sur le lien de la protection de l’enfance avec la lutte contre exclusion. Elle explique qu’il y a des disparités territoriales c’est notamment parce que la prise en compte du problème est très liée aux situations socio-économiques et au pourcentage de jeunes et familles dans la rue. Les problématiques du 93 (à ce sujet voir notre article) ne sont pas forcément les mêmes que celles des Yvelines. Elle le rappelle : « On ne peut pas traiter ce problème sans faire le lien avec la lutte contre l’exclusion. Les placements touchent d’abord les familles les plus pauvres ». Elle estime que « l’accent doit être mis sur l’accompagnement en amont » et répercute la parole des familles: « pourquoi tant de moyens pour placer nos enfants, alors qu’on ne nous dit même pas comment on pourrait améliorer notre situation, comment on pourrait faire avec nos enfants ? » Question très pertinente qui renvoie au soutien à la parentalité à la française. Celui-ci s’appuie sur la valorisation des compétences parentales (partant du principe qu’elles pré existent forcément), sur la réassurance des parents sur leurs capacités (comme le posait le Haut Conseil à la Famille dans un rapport récent), sur une écoute active et bienveillante, et sur des professionnels qui ne doivent pas être « dogmatiques, normatifs, prédictifs, prescriptifs » (selon le rapport de Sylviane Giampino). Dans un tel cadre, on se demande alors à quel moment les parents les plus vulnérables sont informés des connaissances les plus récentes sur le développement de l’enfant  et des postures parentales qui contribuent à le favoriser. Il n’est pas rare d’entendre dans les colloques des représentants associatifs soucieux de défendre les familles précaires s’exclamer “Il n’y a pas de bonne façon d’être parents, sinon ça se saurait”. C’est tout le problème: si il y en a et ça se sait, par les initiés, par ceux qui ont accès aux apports de la recherche ou à leur vulgarisation.

Lacunes de la recherche

Olivier Hiroux, de l’association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille, déplore de son côté la pauvreté de la recherche universitaire en France sur la protection de l’enfance. Jean-Jacques Tregoat, de l’IGAS, propose de mieux exploiter les bonnes pratiques, de permettre au terrain de se les approprier et de « regarder à l’étranger » (c’est d’ailleurs ce que nous proposons sur GYNGER).

L’adoption, dispositif qui s’essouffle

Joëlle Voisin, présidente de l’AFA  insiste sur la nécessité pour les enfants d’avoir un attachement avec des adultes de confiance et assure que les villages d’enfants et l’adoption constituent des outils intéressants. Marie Françoise Bellee Van Thong, de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé, rebondira plus tard sur cette question de l’adoption, en lien avec celle des agréments: « Sur le terrain, il s’agit d’un dispositif qui s’essouffle et qui ne correspond plus à la réalité. Des agréments sont délivrés à des couples avec des parcours d’infertilité qui n’aboutiront pas Julien Pierron, médecin, vice-président de l’association « La voix des adoptés », renchérit en proposant un focus sur la prévention, la préparation et la formation en amont de l’agrément. « Il faut retravailler la cohérence des agréments valables en regard des adoptions réalisées ». Il souligne l’importance des questions identitaires sur les origines qui « se posent à l’âge adulte » et appelle à « revoir l’adoption dans la bientraitance (question judiciaire, abandon, etc…) ».

Tellement d’autres sujets dont le droit à la scolarité, l’accompagnement des mineurs isolés

Josiane Bigot, magistrate, membre de la Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfance (CNAPE) appelle à se préoccuper en priorité de l’enfant et à lui adjoindre de façon systématique un avocat, à ne pas faire des enfants des otages des procédures de divorce et à retravailler l’articulation entre l’autorité judiciaire et les conseils départementaux. Plus tard Dominique Attias, avocate spécialisée dans l’enfance, lui fera écho en insistant sur la nécessité d’une formation spécialisée pour les avocats intervenant auprès des enfants.

Fabienne Padovani, vice-présidente du conseil départemental de Loire Atlantique évoque les difficultés de recrutement pour l’accompagnement familial, dénonce une droit à la scolarité non respecté, demande qu’on n’oublie pas les 6-10 ans que la sortie du dispositif soit travaillée quel que soit l’âge de l’enfant. Sa collègue du Bas-Rhin s’inquiète du sort des enfants harcelés scolairement. Geneviève Avenard, la Défenseure des Enfants, formule plusieurs souhaits : Améliorer le recensement des données en protection enfance, s’interroger sur l’utilité et la pertinence des données statistiques, faire en sorte que les les droits soient reliés aux besoins fondamentaux des enfants, réaffirmer le droit fondamental à l’éducation, se préoccuper des enfants en situation de handicap, des mineurs non accompagnés et mener une réflexion sur les liens avec les médias. A sa suite Lyes Louffolk, ancien enfant placé, auteur du livre « dans l’enfer des foyers », plaide lui aussi pour qu’une attention particulière soit portée aux mineurs isolés.

La prochaine séance plénière du CNPE aura lieu le 1er février prochain.