Dans un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale d’Ile de France, quatre jeunes adultes en situation de handicap mental participent à un groupe de parole sur la sexualité et la vie intime. Il s’y tient des propos forts et francs. Entre deux jolies métaphores.

Au début de la séance, le ton est à la plaisanterie. Autour de la table, Jenny* et Jérémy*, parents d’une petite fille de 10 mois, Yannick*, papa d’un garçon de 18 mois et sa compagne, Sandrine*, font face à Nathan Wrobel, gynécologue-obstétricien, responsable du département Gynécologie et handicap à l’Institut Mutualiste Montsouris et Patrice Moreau, psychologue clinicien, thérapeute dans un cabinet libéral de soutien à la parentalité. C’est la troisième fois que cette rencontre sur le thème de la vie intime et de la sexualité a lieu dans ce Service d’Accompagnement à la Vie Sociale qui accueille des adultes en situation de handicap psychique et/ou mental.
Yannick commence par expliquer « qu’au boulot on en parle tout le temps ». A côté de lui Jenny rebondit : « Il n’y a pas qu’au boulot ! Avec nous aussi, vous ne parlez que de ça ! Des fois on parle de choses sérieuses et tu esquives. Ca m’énerve. Yannick est obligé de faire sortir ça, alors que ça ne regarde personne ». Ca ? La sexualité. Patrice intervient : « pour vous Jenny l’intimité et l’espace public sont trop mélangés et ça vous dérange ? » Jérémy compagnon de Jenny, affirme que pour lui parler de sexe et en plaisanter est naturel, mais il convient qu’en public « c’est bizarre ». Les deux garçons, qui se connaissent bien et sont amis, constatent qu’ils en parlent beaucoup entre eux, ce qui n’est pas le cas des filles.
Jenny fait part de son ambivalence : les garçons consacrent trop de temps à évoquer le sujet devant elle mais elle aimerait savoir ce qu’ils se disent entre eux. « A-t-on besoin de plusieurs espaces et ces espaces doivent-ils se rencontrer ? », interroge Patrice. Nathan, lui, amènent les quatre jeunes gens sur un autre terrain : « de quoi les garçons ont-ils besoin quand ils ne parlent qu’entre eux ? » « De se confier, lâche Jérémy. Pour ça il faut quelqu’un qui comprend tes problèmes, qui compatit à ta douleur. Si tu as des problèmes dans ton couple, tu vas en parler à quelqu’un de confiance. »

Imperceptiblement, l’ambiance a changé. Les rires goguenards ont laissé la place à davantage de gravité. « Il a du mal à me parler », confie Jenny. Patrice leur propose une synthèse : « Si je reformule, quand il y a un problème dans le couple, vous allez parler à une personne extérieure, ça permet de prendre du recul par rapport à une situation dans laquelle vous êtes embourbé ». « Il faut quelqu’un qui voit les choses différemment » approuve Jérémy.
Au fil de la discussion Jenny reconnaît avec lucidité que ses angoisses l’amènent à une forme d’intrusion. « C’est mon défaut, à chaque fois qu’il s’en va, je lui demande « où tu vas ? Pourquoi tu es parti si longtemps? » J’ai besoin d’être rassurée. » « Tu es une femme c’est normal d’être curieuse » assène Yannick. Jusque là plus discrète, cherchant ses mots mais encouragée par Nathan, Sandrine intervient : « moi aussi je veux savoir ce qui se passe entre les garçons quand ils sont ensemble ».
Un peu plus tard Jérémy s’ouvre davantage. « A chaque fois que je me mets en couple j’ai toujours peur de perdre la personne. Ca a toujours été un échec. Je ressentais des choses qui faisaient mal. En couple souvent on ne se connaît que des yeux. Moi je parle de mon passé, je m’ouvre. Ca passe ou ça casse. Je pense que la personne avec laquelle tu es doit t’accepter pour ce que tu es. Jenny c’est la première personne avec qui j’ai pu faire ma vie. C’est bien beau de dire je t’aime mon cœur, il faut que ce soit du réel. Aujourd’hui je suis rassuré après plein d’échecs» Jenny murmure : « Il ne m’a jamais dit ça, c’est la première fois ». « A moi il me l’avait déjà dit ! » assure Yannick. « J’avais gardé les choses pour moi, explique Jérémy. Mais c’est pas bon. Tu te crées une plaie et après ça fait des trous. Tu t’imagines des choses ».

Les confidences du jeune homme et l’écoute respectueuse des autres participants amènent Sandrine à sortir de sa réserve et à se livrer un peu plus : « Moi aussi avant de rencontrer Yannick j’avais du mal à me confier. Mes ex m’avaient fait du mal, je les ai quittés, j’ai eu du mal à faire confiance après. Maintenant je suis bien avec Yannick. Mais j’ai du mal à lui dire ce que je ressens. J’ai envie d’oublier tout ce qui s’est passé, je veux l’effacer. » Jérémy abonde : « Tu veux enlever un poids que tu as sur toi. Tu veux faire du nouveau. Tu veux mettre le passé derrière et le présent devant. » S’engage un échange avec les deux animateurs de l’atelier sur la façon d’avancer avec son passé. Yannick voudrait « effacer son disque dur parce que parfois « le passé revient à la surface. » Jérémy, lui, trouve que « le passé fait travailler ». « Il y a quand même des trucs que tu voudrais totalement oublier parce que ça ne sert à rien de s’en souvenir » objecte Yannick. Jérémy pense aux bêtises qui ont fait pleurer sa mère. « Le passé est comme un insecte, ça vole, ça part, ça revient dans ta tête, ça reste vivant, ça travaille », déclare-t-il joliment. Yannick, lui, sait que s’il plaisante tout le temps c’est pour ne pas penser aux souvenirs qui pourraient le faire pleurer. « Ca arrive souvent de rigoler mais de sentir de l’émotion en soi », confirme Jérémy.

A l’issue de cette session d’une heure et demie, les deux couples se disent enchantés. Tout leur a plu. Evoquer leurs sentiments, le passé et ses traces, la communication… « J’ai pu parler de ce que je ressens, ça fait du bien » confirme Sandrine. Il se disent prêts à réitérer l’expérience. Jenny, elle, a la tête ailleurs. Dans la pièce d’à côté sa petite fille, en compagnie de la responsable du SAVS, s’agite. « Elle a faim, elle a pris son petit déjeuner à sept heures, il faut que j’y aille. » Les garçons la rassurent : « Hé, Aline a des enfants, elle saura s’en occuper ! » Bien tenté. Mais pas suffisant. Parfois il y a des préoccupations plus importantes, plus primaires, que d’autres.