Santé, développement, sciences sociales… la cohorte Elfe, 18.000 bébés recrutés en 2011 dans 344 maternités, est censée offrir un matériau à des études de toutes les disciplines. Les travaux effectués à partir de ces données creusent notamment les questions migratoires.

La dernière partie de la journée scientifique du 13 mars consacrée à la cohorte Elfe a été dédiée aux populations migrantes. Tatiana Eremenko, de l’Ined, présente quelques chiffres. Un enfant sur 5 vit dans une famille immigrée, 87% de ces enfants sont nés en France. Les couples mixtes constituent 12% et sont essentiellement composés de migrants venus d’Europe. L’élément le plus frappant quand on observe ces familles est la prévalence de la monoparentalité. Aux deux mois de l’enfant, soit de façon très précoce, la proportion de mères seules est deux fois plus élevée chez les immigrées qu’en population générale.

Rappelons ici que cette sur représentation de la monoparentalité se retrouve dans les populations afro-américaines et que des études ont notamment montré que ce facteur avait un impact défavorable sur le développement des petits garçons.
Autre spécificité : les enfants immigrés de la cohorte Elfe ont plus souvent un frères et une sœur nés à l’étranger que les enfants natifs. La constitution de la famille a commencé dans le pays d’origine.
Pour la famille immigrée quand il y a un frère ou une sœur vivant ailleurs, il y a des enfants de la mère qui vivent ailleurs. La constitution de la famille a commencé dans le pays d’origine. Il est aussi plus fréquent pour les familles immigrées de vivre avec d’autres personnes extérieures à la famille. « Certainement va-t-il falloir tenir compte du rôle joué par la famille élargie tout au long de la vie de l’enfant », note Tatiana Eremenko.

Une surprise : des bébés de migrants en meilleure santé que les bébés natifs et les bébés de la deuxième génération

Lidia Panico, également de l’Ined, propose ensuite un focus sur le lien entre le statut migratoire et les inégalités de santé à la naissance. Les résultats présentés laissent assez perplexes dans la mesure où ils sont contre-intuitifs. La chercheuse précise d’ailleurs qu’il n’y a pas de consensus sur le sujet. Elle rappelle qu’en ce qui concerne les populations adultes il a déjà été établi dans des études effectuées dans les pays anglo-saxons que les migrants ont un meilleur état de santé que la population majoritaire et que les « descendants » (enfants de migrants devenus adultes). Il semble que ce soit également le cas pour les enfants, en contexte français. Lidia Panico a analysé trois variables de santé : la santé de l’enfant perçue par les parents, les problèmes respiratoires et l’accès aux soins d’urgence. Selon les deux premières dimensions, les enfants de migrants apparaissent en meilleure santé que les enfants de descendants et que les enfants de natifs. En revanche, les enfants de migrants et de descendants fréquentent davantage les urgences que les enfants de la population majoritaire.

Même lorsque les variables socio-économiques sont prises en compte, les différences au cours de la première année de vie de l’enfant se maintiennent : les bébés de migrants apparaissent en meilleure santé alors que les enfants de descendants vont moins bien. « On ne comprend pas l’avantage sur le plan de la santé des migrants par rapport au reste de la population, reconnaît Lidia Panico. On appréhende mal les aspects positifs de la vie des migrants. » Elle note qu’il faut s’interroger sur le fait que ces enfants perdent cet avantage au cours de leur vie puisqu’à l’âge adulte ils sont considérés comme des descendants et qu’on voit alors une dégradation de leur état de santé.
Dans la salle Gilles Pison, directeur de recherche à l’INED, estime nécessaire de creuser la piste du pays d’origine des descendants qu’il faudrait comparer avec l’origine des migrants aujourd’hui. Les pays d’immigration ont-ils changé, ce qui pourrait expliquer ces évolutions ? Lidia Panico souhaite aussi creuser la piste de la « sélectivité éducative » : sont-ce les migrants les plus éduqués qui migrent ? Et est-ce le fait de la confrontation aux discriminations au cours de l’existence, le changement de mode de vie, la perte de pratiques saines (moindre alcoolémie, moindre tabagie) qui leur fait perdre leur avantage de départ ?