Monoparentales, recomposées, homoparentales… La question des « nouvelles familles » a été abordée lors des 21èmes rencontres de pédiatrie pratique. Les médecins ont pu échanger autour de ces sujets -évolutions sociétales, dissociation de la filiation et de la procréation-, au confluent des sciences sociales, de la psychologie et de l’éthique.

Jérôme Valleteau de Moulliac, pédiatre à Paris, a proposé un tour d’horizon des bouleversements qui ont chamboulé la cellule familiale sur les 80 dernières années. Avant la famille était nucléaire, on s mariait jeune, le divorce était exceptionnel, la contraception et l’IVG interdits. La femme, au foyer, s’occupait de l’éducation, le père nourricier avait l’autorité et portait la culotte. Entre les années 50 et les années 80, la famille évolue, les femmes commencent à travailler, l’autorité paternelle est remise en cause, la place des enfants dans les familles se déploie, leur nombre diminue. Les moeurs changent, la sexualité prénuptiale se banalise ainsi que l’union libre, la capacité juridique de la femme est reconnue en 1965, la contraception apparaît en 67, l’autorité parentale conjointe en 70, la loi Veil dépénalisant l’avortement est votée en 75. Désormais, le nombre de divorces équivaut le nombre de mariages, à côté de la famille traditionnelle sont apparues les familles monoparentales (surtout chez les familles les moins diplômées) et recomposées. Selon l’INED entre 25.000 et 40.000 enfants seraient élevés par un couple homosexuel (250.000 selon l’APGL). Huit homocouples sur 10 avec enfants sont des femmes. Ces couples sont souvent plus diplômés. Un enfant sur cinq vit dans un ménage pauvre.

Comment les évolutions de la famille bousculent la pratique des pédiatres

Le pédiatre interroge : « Ces modifications familiales, de normes, ont-elles des conséquences sur le développement de l’enfant, ses repères, son épanouissement, sur les modèles de genre ? Quel est l’impact de la précarité sur le développement des enfants ? Etait-ce mieux avant ? Et le pédiatre là-dedans ? »
« Il doit être acteur, au centre de ces problématiques, assure Jérôme Valleteau de Mouilliac. Il doit pouvoir donner des conseils quand il y a des trouble du développement et il doit s’assurer que l’enfant vit dans cadre structurant et personnalisant. » A noter que sur le rôle des pédiatres, les Américains sont actuellement plongés dans des réflexions qui vont encore plus loin : les sociétés savantes estiment qu’ils ont une mission de premier plan dans la guidance parentale, dans la transmission des informations à dimension éducative, avant même que ne surviennent les problèmes.

Le docteur Jacques Cheymol vient ensuite expliquer en quoi l’arrivée de la procréation médicalement assistée « a bousculé sa pratique ». Il suit actuellement 6 à 7 couples de femmes.
Il évoque l’un de ces couples : les deux femmes ont fait appel à une banque de sperme danoise, elles ont choisi le donneur, non anonyme, selon des caractéristiques physiques. Après ce premier enfant qui va très bien, elles souhaitent procéder à une seconde FIV. Mais le bébé décède in utero. La femme qui ne portait pas l’enfant en est très déprimée. L’autre femme, la gestatrice, ne souhaite plus tenter l’expérience. C’est donc celle qui n’a pas encore été enceinte qui souhaite l’être. Elles font appel au même donneur mais aussi à une donneuse d’ovocytes russe. Le bébé naît très prématuré, avec un APGAR très faible, une grosse réanimation néonatale, une hypothermie thérapeutique, des convulsions. Le Dr Cheymol constate que pour le premier enfant c’est plutôt la mère biologique qui vient en consultation. Pour le deuxième enfant, beaucoup plus fragile, il voit les deux. « L’autre femme est très aidante ». Pour ces femmes le mariage pour tous a constitué une sécurité.

Parents de même sexe: les enfants vont plutôt bien

Jacques Cheymol note que les couples homosexuels de sa patientèle sont plutôt à hauts revenus, que les enfants se développent bien (quand ils n’ont pas de facteurs de risque), que les familles sont aimantes, que ces femmes sont dans le désir de maîtriser a paternité. « Quelle est la part des hommes dans ces familles ? Est-ce que ça a de l’importance ? Dolto disait : « ce qui importe c’est la place des hommes dans la tête des mères ». Avoir un enfant, est-ce un droit ? Ce droit arrivera-t-il pour les couples homos hommes ? »
Il conclut sur le fait que l’homoparentalité ne semble pas avoir d’impact sur le développement de l’enfant, que ces familles sont plutôt bienveillantes, avec un fort soutien interparental. Ce sont en effet les conclusions de la plupart des très nombreuses études sur le sujet (études synthétisées le livre remarquable de Susan Golombok, uniquement disponible en anglais mais dont nous avons rédigé une recension, en français).
« Pour l’enfant seule compte la sécurité, conclut Jacques Cheymol. La pédiatrie n’est pas la norme. Nous n’avons pas à donner la norme. La parentalité nucléaire est complètement mise à mal dans bien d’autres cultures. Le fait d’être procréateur n’entraîne pas forcément l’élevage des enfants dans d’autres cultures. »

La famille, version verticale et horizontale

Le pédiatre cède la place à Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, thérapeute familial. « Qu’est-ce qu’une famille ? Pourquoi cette notion s’est-elle obscurcie ? Qui fait partie de ma famille ? »
Il développe deux représentations différentes de ce qu’est une famille :

La famille horizontale : c’est un groupe de personnes qui partagent des places, des rôles, des affects, des liens. Elle meurt et renaît à chaque seconde. Ce groupe se transforme par les naissances, les deuils, les traumas divers mais se transforme aujourd’hui beaucoup plus et beaucoup plus fréquemment. Plus de personnes interviennent dans la conception de l’enfant et dans son éducation. Le groupe qui lui donne une identité est mobile et changeant. Cet enfant a besoin de stabilité dans ses liens, d’attachement, il doit appartenir à un groupe dans lequel il va développer ses compétences. Il peut souffrir de la place et du rôle qu’il occupe dans le groupe. Cette fonction groupale éclaire les symptômes.

La famille verticale : les processus verticaux établissent la filiation et la transmission (une famille ne commence et ne finit jamais, elle est toujours « déjà là »). L’axe de la filiation, de la généalogie… la psychanalyse est née autour de ces processus. Dans une vision psychanalytique des troubles l’enfant souffre de mécanismes de transmission dont il est dépositaire. C’est la vision d’une pathologie qui naît des processus de transmission verticaux.

La fin du “un père/une mère, pas un de moins pas un de plus”

Pour qu’un enfant puisse se forger une identité, il doit pouvoir se raconter une histoire, celle de sa famille, il doit pouvoir se rattacher à des origines, à des racines. Longtemps il y a eu concordance parfaite entre le groupe vertical et le groupe horizontal. Aujourd’hui, de plus en plus, il y a disjonction entre le groupe horizontal et les protagonistes du groupe vertical. C’est plus complexe pour les professionnels qui ont à soutenir les familles dans ce qu’elles transmettent à un enfant.
Il y a le grand changement dans la dynamique des familles : la coparentalité a supplanté la complémentarité conjugale. La pluriparentalité a supplanté le 1 père/1 mère. “On continue pourtant de fonctionner avec un modèle de référence mythique un père/ une mère, pas un de plus pas de moins“.
Le psychiatre poursuit sur le don de gamètes. « En France, il y a anonymisation du donneur, on escamote le fait qu’il y a eu un don. On fait comme si ce géniteur n’avait pas existé. Au siècle dernier on disait aux familles adoptantes « ne dites jamais qu’il a été adopté ». »
Des enfants développaient des troubles car ils vivaient dans le mensonge qui leur était transmis par des regards déviés. Ils percevaient que quelque chose était tordu. Donc après on a dit « vous lui dites l’histoire la plus juste possible ». Il s’est produit la même chose dans la PMA : « surtout ne dites rien » ».

La vraie souffrance pour un enfant: ne pas avoir accès à son histoire

Serge Hefez constate que de plus en plus de pays lèvent anonymat pour que l’enfant puisse reconstituer toutes les facettes de son histoire. Il s’agit pour lui d’une question exemplaire de la façon dont nous avons à considérer la pluriparentalité réelle ou fantasmatique. « Il faut aider l’enfant et mettre en relation tout ce qui a concouru à venue au monde, les différents protagonistes qui ont accompagné cet enfant dans son histoire. »
Il poursuit : « Partir de la vision « manif pour tous » nous fait penser par exclusion et non par inclusion. Les enfants souffrent beaucoup plus de ces processus d’exclusion. Ils se portent beaucoup mieux quand on les aide à reconstituer l’histoire. De ma place de thérapeute familial, on essaie de vivifier ces processus de pluriparentalité à l’oeuvre. Autant que faire se peut, on fait venir un père et un beau père en même temps, pour créer processus collaboratif. Ou un donneur de sperme. Ce sont des histoires qu’on se raconte tous ensemble. Ces personnages doivent exister. Il faut sortir du « un père/une mère, pas un de plus pas un de moins ».

Plus que la monoparentalité, c’est la séparation qui impacte un enfant

Après Serge Hefez, la psychiatre Mare-France Le Heuzey prend à son tour la parole pour rappeler que quelle que soit la forme de la famille, ce qui intéresse le pédopsychiatre c’est la souffrance de l’enfant et sa santé psychique. Elle confie son irritation d’entendre parler de « familles monoparentales », ce qui ne veut rien dire en soi car tout dépend de ce qui a conduit à la monoparentalité (nous souligniions dans cet autre article la différence pour l’enfant entre une monoparentalité subie et une monoparentalité assumée). Elle martèle aussi qu’au delà de la configuration familiale, ce qui est traumatisant pour un enfant, c’est la séparation. « La séparation a un impact, surtout quand elle est conflictuelle. C’est la violence qui impacte l’enfant. » Les risques associés sont nombreux : impact socio-écocomique, symptomatologie dépressive, estime de soi, réussite scolaire. Ce que montre en effet la littérature sur le sujet.
Elle enchaîne avec un petit topo sur la résidence alternée :
Pour l’enfant atteint de TDAH, « c’est compliqué» : il existe un sentiment d’insécurité des enfants, très difficile à vivre. Attention notamment à la vitesse de rotation, à l’âge de l’enfant, au syndrome d’aliénation parentale, trop souvent utilisé alors qu’il n’est pas reconnu et n’appartient à aucune classification (le sujet est très controversé). Marie-France Le Heuzey propose ensuite une revue de littérature synthétique et très éclairante, qui rejoint totalement les conclusions de Susan Golombok. Oui, les familles homoparentales semblent un peu moins stables que les autres. Mais concernant l’évolution des enfants, peu de différences apparaissent entre les enfants issus de ces familles et les autres. La psychiatre avertit : il faut regarder si les populations étudiées sont randomisées, quels sont les échantillons, qui finance l’étude, et d’autres variables (niveau économique, culturel, âge des parents, désirabilité sociale, nombre et âge des enfants). Mais on peut préciser que comme le notait Susan Golombok dans son livre, il existe peu de domaines d’études où la scientificité des recherches menées ait à ce point été passée au crible. Marie-France Le Heuzey cite une étude menée au CECOS de Cochin sur des transsexuels hommes reconnus pères par la loi et sur le devenir de leurs enfants : ces pères sont compétents et les enfants vont bien.
Elle évoque d’autres facteurs susceptibles d’impacter le développement des enfants, notamment la précarité, les désorganisations familiales, les problèmes de logement, la maladie mentale des parents. Pour conclure sur l’idée que ce n’est pas la structure d’une famille qui a un effet sur les enfants mais son fonctionnement. C’est d’ailleurs ainsi que Susan Golombok concluait son livre.
Dans la salle une pédiatre pose LA question : « mais dans les couples homosexuels, quid de l’oedipe pour un enfant ? » Large sourire de Marie-France Le Heuzey. :« Je ne suis pas psychanalyste. Le complexe d’oedipe, ça fait longtemps que je m’assois dessus.»