Soutenir la parentalité contre les inégalités sociales de santé, tout un programme. La Société Française de Santé Publique a déjà consacré un séminaire à cette thématique en septembre 2016, axé sur la définition des concepts et des enjeux. Une deuxième journée organisée le 19 janvier dernier au Ministère de la Santé a permis de se focaliser sur les actions avec cet intitulé : « accompagnement à la parentalité, comment agir dans une perspective de réduction-non aggravation des inégalités de santé ? »

 

« L’enfance est marquée par les inégalités sociales, pose en introduction Pierre Lombrail, membre du bureau de la SFSP. On compte sur les personnes, sur le milieu, sur des programmes qui ont plus ou moins fait la preuve de leur efficacité. Les programmes ne résoudront jamais toutes les difficultés. Notre challenge, c’est de faire remonter les expériences sur lesquelles on peut se baser. » Le ton est donné. Il ne s’agira pas ici de se référer à la notion d’evidence-based ni de plaider pour des programmes standardisés.

Prévention précoce et inégalités sociales au cœur de la stratégie nationale de santé

Le docteur Zinna Bessa, Sous directrice « Santé des populations et prévention des maladies chroniques» à la Direction Générale de la Santé, prend ensuite la parole. « L’action se fait aux racines des inégalités, c’est là que ça se passe. La lutte contre les inégalités sociales de santé et pour la place des usagers dans les systèmes de santé sont dans l’actualité de nos politiques interministérielles portées par la stratégie nationale de santé. Tous les ministères ont été sollicités. Une concertation a eu lieu pendant tout le mois de novembre. Un axe spécifique est dédié à la population des enfants et des jeunes. » Pourquoi ? Parce que « les inégalités de santé apparaissent très tôt, elles sont installées avant l’âge de 6 ans. » « Dès la période périnatale, poursuit Zinna Bessa, les inégalités sociales sont présentes notamment pour les femmes jeunes, seules, ou arrivées récemment sur le territoire. »

Elle pointe que l’enfance correspond à une période de fragilités mais aussi et avant tout d’opportunités. L’action précoce peut avoir des effets positifs si les parents prennent confiance dans leurs compétences. Les interventions précoces vont être cruciales. Depuis plus d’un an, un comité d’animation des actions de PMI se réunit. Il s’agit d’une instance de construction commune pour capitaliser les idées qui viennent du terrain. Une « instance de boite à outils » en quelque sorte. Il s’agit bien de faire remonter les actions innovantes et probantes. « Les politiques se construisent à partir des expériences de terrain » martèle l’intervenante.

Pour Zinna Bessa, « l’un des enjeux sur le plan éthique c’est le développement de la littératie en santé, c’est à dire la capacité de chacun à comprendre et utiliser des informations de santé pour faire des choix éclairés. » Permettre à toutes les familles de développer et transmettre cette littératie en santé demande un effort collectif et de s’appuyer sur la première socialisation des enfants dans les lieux d’accueil, dans les écoles. Fin 2016 un partenariat s’est noué entre le ministère de l’éducation nationale et de la santé avec des conventions entre les rectorats et les Agences Régionales de Santé.
L’objectif : identifier les idées reçues et les évidences. Zinna Bessa insiste : il faut se poser la question de l’amélioration mais aussi de la non aggravation des inégalités. Eviter le gap entre plus de prévention, plus de promotion et plus d’inégalités.

Rappels historiques : des premières EPE à la stratégie nationale de soutien à la parentalité en 2017

Laurine Bricard, du bureau des familles et de la parentalité à la Direction Générale de la Cohésion Sociale, évoque la stratégie nationale pour le soutien à la parentalité qui se dessine pour 2018-2022. Elle propose d’abord un rappel historique avec l’émergence au début du 20ème siècle des premières Ecoles des Parents et des Educateurs puis des actions et dispositifs dans le champ de la prévention. L’objectif était d’aider les parents à exercer au mieux autorité et responsabilité dans l’intérêt de l’enfant. Elle revient sur cette politique de prévention très primaire, sur la reconnaissance en 1998 du soutien à la parentalité comme composante à part entière de la politique familiale, puis sur le lancement des Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement à la parentalité (REAAP).

En 2013 les crédits sont concentrés au sein de la branche famille. S’ensuit la création du Haut Comité à la Famille, à l’enfance et aux âges de la vie (HCFEA). Laurine Bricard cite également le rapport de Claude Martin dont il a été beaucoup question lors d’un récent colloque. En 2017 une stratégie nationale de soutien à la parentalité a été lancée, avec des enjeux importants : préparer une stratégie partagée et cohérente pour les années à venir, avoir un état des lieux complet des acteurs. Les travaux ont commencé en janvier 2017 avec six groupes de travail : développer le soutien par et avec les parents, développer les possibilités de répit parental, renforcer l’information des familles, aider les parents à répondre aux besoins de l’enfant en fonction de son âge, améliorer les relations familles-école, prévenir et accompagner les ruptures familiales.

Un plan d’action imminent

La rédaction d’un premier plan d’action est actuellement en cours. Cette phase de concertation passe par la saisine de différents hauts conseils (dont le HCFEA) une stratégie qui courra jusqu’en 2022 doit être adoptée en mars prochain. Laurine Bricard évoque les pistes de travail (même si à ce jour rien n’est validé) : l’accompagnement des parents de jeunes enfants, le renforcement de l’accompagnement à domicile pendant la période périnatale, travailler avec les pères de jeunes enfants, maintenir et approfondir la prise en compte de l’accompagnement à la parentalité dans la formation initiale et continue des professionnels de la petite enfance, accompagner enfants et parents lors de la scolarisation.
Elle insiste sur l’idée du « répit parental ». « Il faut former les professionnels, les amener à changer de regard sur les familles qui en expriment le besoin. Et le proposer aux familles qui se trouvent dans une situation pesante au quotidien même si elles ne reconnaissent pas le besoin. » Laurine Bricard propose aussi de développer les lieux d’accueil pour les parents d’enfants de six à onze ans ainsi que pour les parents d’adolescents.

Revue de littérature sur les interventions précoces

Une sage-femme doctorante en santé publique, Annabelle Pierron, propose ensuite quelques données issues d’une revue de littérature sur l’accompagnement à la parentalité (ses travaux sont en attente de publication). La recherche est très prolixe en la matière. Annabelle Pierron a pris comme point de départ l’année 2009 et a utilisé trois bases de données médicales en se demandant quelles interventions étaient les plus efficaces pour la promotion de la santé des mères et des nouveaux nés. Elle a aussi cherché à savoir si les auteurs considéraient les inégalités sociales de santé. A ce propos elle précise :  « Les inégalités sociales de santé ce sont des écarts injustes et importants enregistrés entre groupes sociaux et territoires. La vie des personnes est marquée par la survenue successive de processus sociaux et biologiques. L’environnement social conditionne le mode de vie, les conditions matérielles, l’accès aux soins. Ce sont des facteurs qui s’entremêlent et s’enchaînent. Il y a un phénomène d’accumulation des risques. Les désavantages sociaux de certaines populations peuvent se cumuler. » Face à ces désavantages, l’OMS a préconisé d’agir dès le début de la vie.

Les critères d’efficacité des interventions précoces

A partir de 800 publications effectuées avec des données en santé, elle a conservé 21 revues de littérature ne portant que sur des enfants de moins de trois ans, nés à terme sans pathologie. Une grande partie de ces études sont anglo-saxonnes, très peu portent sur la France et un petit nombre d’entre elles est consacré aux moins de 3 ans. Il ressort de ces publication les caractéristiques des actions les plus efficaces : l’accompagnement comportemental et psychologique, les groupes de parole, le soutien téléphonique. Ces modalités amélioreraient l’adaptation des couples à la parentalité et la sensibilité et réceptivité du nouveau né. Elles débutent le plus souvent avant la naissance, et les parents ont la possibilité de participer activement. Nous notons que les revues de littérature précédentes (comme celle du rapport américain Parenting matters) et les méta-analyses du what works center anglais « Early Intervention Foundation » (dont l’essentiel du travail consiste à classer ces programmes selon leur efficacité et leur coût) aboutissent à des conclusions un peu différentes, ou en tous cas mettent l’accent sur d’autres éléments: les interventions les plus efficaces sont généralement « comportementales », qu’elles soient groupées ou individuelles, et intensives. Les groupes de parole et le soutien téléphonique n’apparaissent pas efficaces en eux-mêmes mais peuvent faire parti d’un dispositif global.

Annabelle Pierron indique qu’en Europe les interventions les plus efficaces sont les programmes éducatifs débutés dès le début de la grossesse, qui incluent des visites à domicile (VAD) par du personnel qualifié. Ce constat rejoint celui de la Early intervention Foundation : Les visites à domicile recueillent le plus haut niveau de preuves.

Les actions universelles peu évaluées dans la littérature

La chercheuse relève la faible attention accordée aux services universels puisque la majorité des études ciblent des population à risque. Une revue de littérature seulement, parmi celles étudiées, se focalise sur des interventions communautaires. Il existe finalement peu d’études axées sur la période périnatale et la parentalité est souvent limitée aux mères. Annabelle Pierron déplore également un manque de description du processus d’élaboration des interventions (qui nous apparaissent quand même beaucoup plus détaillées que les grands principes et valeurs générales posés par la charte des REAAP) . « Elles sont évaluées en terme d’efficacité mais ne précisent pas dans quelles circonstances et auprès de quel public elles ont lieu, explique Annabelle Pierron. Il y a donc un manque d’éléments contextuels qui soulève la question de la transférabilité. » Elle indique que la question des inégalités sociales de santé reste très parcellaire (une méta analyse sur deux l’évoque et une sur 5 intègre ces notions dans l’analyse). « Peu d’auteurs considèrent les notions d’équité en santé ». Elle constate par exemple que les études n’explorent pas la qualité de logement, les services de garde des enfants, l’aspect relationnel, le lien social.

Ces dernières conclusions peuvent sembler contradictoires avec le fait que les programmes anglo-saxons sont très souvent ciblés, selon des critères de risque psycho-social, ou des difficultés déjà manifestes, et qu’ils visent expressément l’amélioration des pratiques parentales et du développement de l’enfant dans les familles dites « à risque », justement pour compenser des inégalités précoces. Comme le note d’ailleurs la chercheuse, les publications portent peu sur les services universels. Elles traitent principalement les programmes axés sur les populations défavorisées « sans considérer les gradients sociaux et la diversité de la population » estime Annabelle Pierron.
Ce n’est en soit pas très étonnant, nous semble-t-il, dans la mesure où les travaux de recherche relayés notamment par les organisations mondiales (OMS ou Unesco par exemple) mettent régulièrement en exergue que les interventions ciblées se révèlent plus efficaces que les services universels du point de vue de la réduction des inégalités.

Le risque d’une approche obnubilée par les familles les plus défavorisées et par la réduction du fossé reste néanmoins de passer à côté de parents et d’enfants avec de réels besoins mais ne présentant pas de critères de vulnérabilité suffisants. D’où cet intérêt croissant pour l’universalisme proportionné et la prise en compte du gradient social. Dans une intervention ultérieure, Christine Colin, professeure de santé publique, reviendra précisément sur ce débat.

Des études avec de nombreuses limites…mais qui ont le mérite d’exister

Annabelle Pierron poursuit sa présentation en pointant la variabilité des effets résultant d’actions multiples. « Comprendre comment, pour qui fonctionnent les interventions relève d’un défi méthodologique », estime-t-elle. Défi méthodologique dont on rappellera qu’il est rarement relevé en France. Les travaux anglo-saxons ont entrepris depuis longtemps d’identifier ce qui fonctionne, pour qui, selon quelles modalités et pour quel coût (c’est encore une fois tout le travail des what works centers anglais). La sage-femme pose ensuite que les actions sont réalisées par des professionnels au profit des parents, ce qui soulève la question de la hiérarchie des savoirs et d’un terrain « dominé par les normes » (sujet de débat intemporel et qui fera d’ailleurs l’objet d’un troisième séminaire de la SFSP). Elle relève enfin que la mobilisation active des publics au moment même de l’élaboration des actions est une stratégie de renforcement, un critère d’efficacité.

Formation des professionnels, transférabilité, efficacité des VAD : le temps des questions-réponses

Dans la salle, Corinne Roehrig, médecin de santé publique, qui a adapté en France un programme américain formule une objection : « Au delà des problèmes de transférabilité, des actions mal décrites ou mal expliquées, il me semble que ce qui devrait être questionné, avant même d’envisager de mettre des parents en représentants des actions, c’est l’attention qu’on va porter à la formation des acteurs de manière générale. » « Les parcours professionnels sont très variés, reconnaît Laurine Bricard. Et la question du soutien par les pairs pose la question de savoir dans quelle mesure les professionnels sont en capacité de laisser la place pour que les parents montent des initiatives. Nous envisageons de renforcer la formation des professionnels du jeune enfant. Se pose aussi la formation des bénévoles

S’ensuit un échange sur la notion de transférabilité. Une représentante de la mairie d’Aubervilliers évoque un programme de promotion de la santé psychique de l’enfant de 0 à 3 ans à partir de visites à domicile, en accès universel. « Nous faisons cela au niveau local mais il est difficile de donner des critères de mieux-être des familles, par exemple. Et c’est donc difficilement transférable. » Pour Pierre Lombrail, «la VAD est une fonction clé mais on ne la mettra pas en œuvre de la même façon dans un autre quartier. » « Il y a des éléments de ce que vous faites qui sont transférables », assure-t-il néanmoins. Un médecin du service départemental de PMI prend la parole : « Il y a quand même une transférabilité possible puisque nous allons nous inspirer de cette expérimentation pour mener quelque chose de similaire à Clichy sous Bois. »

Un autre participant intervient : « Toute l’ambiguïté c’est de poursuivre des objectifs particuliers avec des actions qui elles ne sont pas spécifiques. L’action de soutien à la parentalité est par nature très généraliste (ndlr : en France oui, pas dans les pays qui travaillent avec des programmes standardisés). Il faut différencier l’évaluation d’impact de l’évaluation de processus. Il y a aussi la nécessité de prendre en compte des éléments clé qui sont des pré requis pour avoir une chance d’efficacité de l’action : Approche participative, bienveillante, non jugeante. Se pose enfin la question de la couverture territoriale et la non prise en compte des contextes sociologiques. »

Annabelle Pierron confirme que « les démarches relatives aux interventions ne sont globalement pas contextualisées ». Clément Bader, du réseau Villes santé de l’OMS, se demande si les VAD semblent plus efficaces parce que les bénéfices sont de toute façon plus importants dans les groupes à risque. La question est pertinente. La VAD apparaît bien comme l’outil ayant le plus fort niveau de preuve (c’est aussi le plus coûteux) mais dans les programmes évalués il est en général réservé aux familles vulnérables. Or on sait que les actions à destination de ces publics rencontrent une plus grande efficacité. Il est donc difficile de savoir si la VAD est intrinsèquement plus efficace ou si elle l’est parce qu’elle est menée auprès de publics pour lesquels la marge de progrès est plus importante. Annabelle Pierron note de son côté que « le fait d’être à domicile engage le professionnel à être en phase avec la famille ». Une sage-femme de PMI abonde : « C’est la meilleure prise de température du microcosme familial. La famille va déterminer ses besoins. »

Inégalités sociales de santé ou inégalités sociales tout court : quelle est la priorité ?

Laurine Bricard, elle, recentre le sujet : « L’accompagnement à la parentalité doit contribuer à la lutte contre les inégalités sociales tout court ». Il s’agit bien de réduire les écarts en soutenant les parents des familles pauvres, comme l’envisage d’ailleurs le nouveau délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants. La précision est importante dans la mesure où lors du premier séminaire il avait été rappelé que les inégalités sociales de santé ne concernent pas seulement les familles défavorisées (on peut en effet parler d’inégalités sociales de santé pour les femmes, par exemple), comme s’il fallait se prémunir du risque de stigmatisation des plus pauvres. Didier Houzel avait même appelé à ne pas lier les anomalies de la parentalité ou du développement de l’enfant au statut socio-économique, ce qui avait fait réagir Christine Colin, professeur de santé publique installée au Québec.

Laquelle le redit clairement en introduction de son propos ce vendredi 19 janvier. Pour elle, la priorité, « c’est la défense des plus défavorisés ». Elle le répète, la petite enfance est une période cruciale et elle en convient : « Tous les parents ont des besoins et des inquiétudes mais le gradient social est bien présent dès la conception. » Elle poursuit : « La pauvreté peut être plus dommageable pendant la petite enfance. Il existe des écartes injustes et importants entre les groupes sociaux. On se pose aujourd’hui la question du gradient par rapport au fossé. Mais le fossé n’a néanmoins pas disparu. Parler de gradient n’empêche pas de parler de fossé. »

Elle énumère les composantes des vulnérabilités psychosociales :  la maladie mentale, la toxicomanie, la violence, le dysfonctionnement familial, les carences, les migrations, la précarité, la pauvreté et grande pauvreté. « Je garde une approche ancienne, je parle en terme de pauvreté et grande pauvreté. Le Bilan Innocenti Unicef de 2012 l’a montré : les écarts persistent et augmentent. »

Le si fort impact de la pauvreté sur le cerveau des enfants

Dans les années 90, raconte-t-elle, une étude qualitative au Québec a montré le vécu de ces familles pendant la grossesse. La peur de manquer de nourriture au quotidien, le stress constant et élevé, l’effet destructeur de la honte. Dans ce contexte, les enfants sont vus comme un projet, un espoir qui donne du sens à la vie, une contribution sociale. Ces parents aimants ont des compétences souvent masquées par leurs conditions de vie. Les familles vivent dans la peur d’être jugées incapables de s’occuper des enfants. La dépression maternelle est élevée, avec des conséquences sur la santé physique des nouveaux-nés, l’allaitement est moins fréquent et moins long, les troubles du développement de l’enfant et l’échec scolaire sont plus fréquents. Ce qui conditionne le plus le rendement scolaire : le statut socio-économique, l’éducation de la mère, du père, le revenu familial. Dans ces familles, il y a moins d’interactions verbales et sociales, un environnement plus rude. Autant d’éléments qui justifient les interventions.
Des propos clairs, nets, précis.

Elle poursuit : le statut socio-économique a une influence sur la santé pendant l’enfance, à l’âge adulte. L’influence du statut-socio-économique est supérieure à l’influence de tous les facteurs de risques (le tabac par exemple). Ce sont des mécanismes de mieux en mieux connus: les mécanismes neuro endocriniens liés au stress chronique, l’épigénétique. Le statut socio-économique devient biologiquement incorporé. Parfois les dommages sont irréversibles pendant la période critique du développement. L’impact peut être très négatif sur l’état de santé.
Christine Colin poursuit : « L’environnement est très important. La qualité des institutions peut changer les choses pour ces enfants là. La résilience est possible, l’intervention peut être efficace, il n’y a pas de déterminisme. Le risque est augmenté pour ces enfants mais 100% de ces enfants ne sont pas prématurés par exemple. Il existe beaucoup de force et de résilience. »

Elle rappelle que ces familles ont plus de besoins mais ne se présentent pas davantage et ne bénéficient pas de plus de services. La raison : la peur d’être jugées incapables, de se voir retirer les enfants. Du côté des intervenants, ils peinent à toucher ces familles, les ressources financières et humaines ne sont pas toujours suffisantes, il y a un manque de concertation et de collaboration, un isolement des intervenants. La réduction des inégalités n’est pas automatique quand la santé de tous s’améliore. Parce que les individus ont des capacités différentes pour tirer profit des interventions en fonction de leur position sociale. Elle évoque les « déterminants de santé ». « Sans paix, sans toit, sans éducation, sans revenu suffisant, sans écosystème stable, sans ressources durables, il n’y a pas de santé possible. Il est indispensable de développer des environnements sains, des milieux de vie favorables, et d’accorder de l’importance à la participation des individus et communautés.

Elle le redit : « les politiques sociales sont nécessaires et les interventions qui visent les enfants sont efficaces ». On l’oublie souvent mais, une fois n’est pas coutume, la France peut s’enorgueillir sur un point: la redistribution par les transferts sociaux. La France est championne de la réduction de la pauvreté grâce à ces transferts .

Un autre regard sur les programmes standardisés

Christine Colin vient contrebalancer la revue de littérature proposée plus tôt par Annabelle Pierron avec un discours nettement plus favorable aux programmes standardisés. « Il y a des interventions efficaces. On peut obtenir des succès avec des programmes spécifiques, pas forcément ciblés, mais qui rejoignent les familles démunies. Le but c’est bien d’améliorer la santé et de réduire les inégalités. Ces programmes s’appuient sur le rôle pivot de la mère, visent le réhaussement des habiletés parentales. Il existe des programmes pré-scolaires pour aider les enfants de milieu plus vulnérable. Un grand nombre d’entre eux ont des résultats intéressants. C’est bien documenté. Il faut des études très lourdes pour avoir des preuves valables et montrer que les enfants ont moins de comportements à risque à l’âge adule. Les effets sont plus marqués chez les populations les plus vulnérables. On voit un effet combiné entre l’amélioration des pratiques parentales et la sécurité de l’environnement. Les visites à domicile et les interventions directes vis à vis de l’enfant sont les plus actions les plus efficaces. »

Elle évoque le dispositif québécois Naître égaux-grandir en santé implanté en 1990. Et énumère les facteurs de réussite de ces programmes : la précocité, la continuité pré et post natale, l’intensité (les petites interventions saupoudrées ne marchent pas), la souplesse pour l’adaptation, des équipes stables, une approche à la fois globale et personnalisée (pour Naître et Grandir, l’intervention a été effectuée auprès de toutes les familles en grande pauvreté sans facteur de risque spécifique), la participation active des parents, une attitude favorable des intervenants (les VAD sont efficaces si les intervenants sont bienveillants avec le moins de préjugés possibles), le respect de la dignité des parents et de leurs valeurs, la reconnaissance de leurs compétences, des ressources suffisantes. Il faut continuer au delà de la périnatalité, moduler les services selon l’âge et les besoins.

Christine Colin insiste : ces familles ont un très faible niveau de littératie, elles ne décodent pas ce qu’il y a dans les messages.  En ce qui concerne la question du gradient versus le fossé, elle pointe qu’il faut prioriser les personnes qui cumulent le plus de risques. Elle plaide pour un renforcement de la cohésion sociale pour réussir à toucher les familles les plus en besoin et n’élude pas le risque de la stigmatisation et du contrôle social. Il s’agit d’être bienveillant et patient pour respecter l’adage « d’abord ne pas nuire ? », de reconnaître le savoir profane, d’articuler l’intervention individuelle et l’action collective.

Le soutien parental vu par la CNAF

Pauline Domingo,  Responsable du département enfance, jeunesse et parentalité à la CNAF, explique de son côté les missions et les perspectives de son institution sur le sujet. L’objectif est celui du développement de l’enfant. Il n’est pas anodin de le rappeler car cet objectif n’est pas forcément mis en avant sur le terrain, supplanté par la valorisation des compétences parentales ou le fait de redonner aux parents confiance en eux.
La CNAF entend articuler les prestations financières auprès des parents à d’autres leviers (par exemple par le soutien aux services proposés aux familles). Comment mieux utiliser la connaissance que l’on a des parents pour leur pousser de l’information et des services ?
« En toute honnêteté, on n’a pas travaillé une doctrine spécifique de soutien parental dans l’optique d’une réduction des inégalités sociales de santé, confesse-t-elle dans un sourire. Nous sommes à un tournant, avec une politique d’investissement social. »

Elle précise que dans le soutien à la parentalité, les parents sont les principaux acteurs. Il s’agit d’une politique qui doit répondre aux attentes et aux besoins des parents, deux parents sur 5 jugeant difficile leur rôle. Rappelons ici que ce sont généralement les parents aisés qui expriment le plus d’angoisses et de besoins, et que le besoin exprimé ne correspond pas forcément au besoin réel. C’est ce que montrait récemment une très intéressante étude québécoise. Pauline Domingo énumère les sujets qui préoccupent le plus les parents : scolarité, santé, usage des nouvelles technologies, relations avec leurs enfants. La
politique de prévention précoce est généraliste, universelle et vise les risques pouvant toucher les familles (décrochage scolaire ou difficultés intrafamiliales).
« La qualité des interactions a un impact sur le développement cognitif et émotionnel de l’enfant et sa trajectoire de santé, rappelle-t-elle. Le soutien à la parentalité vise à renforcer les compétences et capacités des individus, à éviter prises en charge ultérieures plus lourdes. Nous avons un enjeu majeur de démonstration, de mesure d’évaluation. Comment nous outillons nous pour mieux apporter la preuve qu’on est dans une stratégie d’investissement social ? »

REAAP, AAD, LAEP: le soutien parental en sigles

Pauline Domingo propose ensuite un focus sur « l’ingénierie des dispositifs », notamment les REAAP. Il s’agit d’aider les familles à assurer leur rôle en prenant appui sur leurs savoirs faire et leurs ressources. Il existe une pluralité d’actions pour répondre à la diversité des besoins, des actions d’écoute individuelle à destination des parents de jeunes enfants, des actions pour les familles fragiles, des groupes de parents, des conférences débats. « C’est un des leviers les plus souples pour l’innovation, pour expérimenter ». Les REAAP ont besoin d’être reboostés, d’être assouplis. C’est l’enjeu de la prochaine COG. Elle cite aussi le projet « familles» des centres sociaux parce qu’il s’y passe beaucoup de choses, les foyers de jeunes travailleurs, l’aide et l’accompagnement à domicile en faveur des familles (AAD), l’accompagnement à la scolarité. Il est difficile de travailler sur des actions concrètes avec les parents.

Quant aux LAEP, ils pourraient davantage être investis sur ces problématiques de santé. Elle insiste également sur le départ en vacances des familles. « Ca passe mal dans les pouvoirs publics. Or c’est un temps privilégié entre les parents et les enfants. » Cette politique est orientée vers les familles défavorisées. « On accompagne les premiers départs en vacances. Il faut sensibiliser les travailleurs sociaux à toutes les dimensions. Faire une valise, prévoir les bons vêtements, fait partie de l’accompagnement social. » A ce sujet vous pouvez lire notre article “les vacances, un soutien à la parentalité”.

Dans la précédente COG, l’axe fort portait sur la prévention et l’accompagnement des ruptures des liens familiaux, avec des dispositifs pour informer les parents, une informations de premier niveau sur les impacts psycho-sociaux de la séparation. Pauline Domingo cite la médiation familiale, les
espaces de rencontre pour sécuriser les liens parent/enfant, les 3000 travailleurs sociaux CAF pour accompagner les plus fragilisés. Dans le cas de séparation, de décès d’un enfant ou d’un parent, les CAF mènent une démarche « pro active » avec une offre de services spécialisés. Elle met l’accent sur les schémas départementaux des services aux familles, les enjeux de formation des professionnels, de sensibilisation des bénévoles. Elle insiste également  sur les enjeux d’évaluation, d’expérimentation, de capitalisation et d’essaimage des bonnes pratiques. « La CNAF, en tant que tête de réseau, veut outiller les acteurs, financer l’expérimentation ». Il existe un réel enjeu d’information pour les parents : leur délivrer une information labellisée, estampillée. Il faut dès lors être là où les parents sont, cibler ceux qui en ont le plus besoin : crèches, centres de loisirs, entreprise. Elle aussi conclut que « l’écueil de normes et de principes qui peuvent stigmatiser ».

Atteindre les publics les plus en besoin, la gageure

Dans la salle, une professionnelle « trouve dommage que dans le nom de la CAF il n’y ait pas de visibilité sur tout l’aspect de l’accompagnement à la parentalité qu’elle fait. » Sandy Sampe de Santé Publique France se saisit également du micro : « Donner accès aux services/aller vers : c’est de plus en plus un enjeu. Comment proposer ces programmes aux familles qui en ont le plus besoin ? » Domingo : « Nous avons changé de COG, de président, de directeur général, on peut en effet changer de nom ! Plaisante Pauline Domingo en réponse à la première remarque. Les services existent, nous avons un enjeu de communication. Concernant le « aller vers », on essaie d’utiliser toutes les potentialités de nos fichiers administratifs. Nous sommes au courant des événements de vie des familles. Nous délivrons une information précoce. Nous repérons par exemple un impayés de logement. Si on intervient immédiatement, on peut prévenir la dégradation de façon rapide. Quelles modalités de contact marchent le mieux ? Je crois beaucoup à l’intervention sociale, au pied des immeubles, dans les centres sociaux. Le travailleur social ne doit pas attendre dans son bureau»

Christine Colin explique que pour effectuer l’essai clinique randomisé du dispositif « naître et grandir égaux en santé », les familles ont été contactées à la banque le jour où les chèques sociaux arrivaient, dans les cafés. « Ensuite, ça se sait. » Pour Pauline Domingo, il faut utiliser les pairs.
Un représentant de la Maison des parents de Saint Denis observe qu’en raison de la dématérialisation il devient compliqué pour les parents de rencontrer un acteur institutionnel.

Impliquer les pères

L’après-midi ont eu lieu quatre ateliers différents. Nous avons assisté à celui intitulé « impliquer les pères ». Frédérique Perrotte, sage-femme membre du Réseau Périnatal Paris sud, y présente une action menée à Paris. « Les pères sont très peu inclus dans les maternités. Or, le père est autant nécessaire que la mère au développement affectif et psychologique de l’enfant. Il y a des effets positifs de l’implication paternelle sur plusieurs plans. On identifie peu le désir de paternité. Nous sommes partis de l’hypothèse  que le soutien des pères c’était moins de psychopathologies, c’était du soutien pour les mères les plus vulnérables, du soutien pour les enfants. Mais comment toucher les plus vulnérables ? SOLIPAM a montré que les femmes très précaires qui s’en sortent mieux sont celles qui sont en couple. » L’objectif de l’action était de développer les compétences parentales, le sentiment de confiance, les outils de communication.
Un groupe de travail a été monté, des questionnaires envoyés aux pères avant le projet. 33 réponses sont revenues. Pour ces pères avoir un enfant était synonyme d’interrogations et d’inquiétudes, avec des questions sur la grossesse, sur la façon d’épauler la mère. Parmi les activités souhaitées : conférences, débats, ateliers parents/enfants. Pour apprendre notamment à jouer avec son enfant, ou donner des soins de puériculture. En revanche les pères n’ont pas coché la case « groupe de parole ».
L’objectif premier était de cibler des pères et futurs pères en situation de vulnérabilité. D’où les sollicitations auprès des centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Mais ces derniers ont décliné car les hommes qu’ils reçoivent ne sont pas pères ou ont des enfants éloignés géographiquement. Parmi les lieux qui on répondu : l’espace Parentèle à Trousseau, l’espace Ludo dans le 19ème, l’association Un air de Famille dans le 10ème, le CHRS Flandres Emmaus.
Les centres sociaux de l’arrondissement n’ont pas répondu. Trouver le bon créneau s’est révélé compliqué. Frédérique Perrotte énumère les obstacles : « le manque de motivation des structures, la gratuité de l’activité et l’annulation des participants, la place des pères dans la société, la représentation des professionnels ». Elle rappelle qu’à l’Hôtel Dieu lorsque des femmes enceintes en grande précarité sont reçues, les conjoints attendent dehors.

Finalement 30 volontaires ont participé à l’action, répondant à un questionnaire avant l’atelier et à six mois. 53% de ces pères étaient cadres, 21% employés. 57% veulent élever leurs enfants différemment de la façon dont ils ont été élevés, 63% pensent que le rôle du père est moins important que celui de la mère dans la société. Près de 86% pensent qu’un groupe de parole entre pères et futurs pères peut être utile. Pour la sage-femme, la mobilisation des pères est variable selon les lieux et selon l’implication des structures. Les retours des participants ont été positifs. Ils ont exprimé le besoin d’un lieu d’échanges pour eux, de conseils pratiques, d’être rassurés. Il a été compliqué de faire venir des pères en situation de précarité et impossible d’en trouver pour co-construire le sujet. Quant aux résultats, Frédérique Perrotte les a dans un premier temps trouvé décevants, même si elle le dit avec le sourire. « Je m’attendais à 100% de pères transformés ! » Seuls deux pères sur cinq disent avoir davantage confiance dans leur rôle de père. Mais cinq sur cinq pensent que ça peut aider à développer les compétences parentales.

Mobiliser les pères dans la cité

Ce sont ensuite deux hommes qui viennent parler d’une action menée dans les Bouches du Rhône par l’association « Et les pères ». Pascal Cremer raconte comment, en tant que représentant d’un bailleur social, il cherchait des solutions pour activer le lien social. Il a travaillé avec le centre social du quartier, à Port de Bouc. « On avait devant nous une zone grise concernant les pères, relate-t-il. Ils étaient absents des lieux de socialisation. On est allés chercher les pères là où ils sont. Avec les pédopsychiatres, on a fait des consultations avec les couples et les pères. On a gardé ce lien et on a monté un groupe de parole qui a rencontré un grand succès. Au départ on a eu une vingtaine de pères puis on a doublé. L’idée était vraiment de donner au père toute sa place, lui permettre de la trouver, de participer le plus possible. »

Pour Jean-Luc Folliot, président de l’association, « il est possible de sortir de la fatalité où on ne voit pas les pères s’impliquer. » Selon lui, il faut sensibiliser les professionnels et autres acteurs éducatifs, valoriser les initiatives locales. Changer le regard sur la place des pères dans l’éducation et la prévention, au sein de la vie familiale et citoyenne avec une approche systémique et partenariale au sein des quartiers en souffrance sociale. Entrer en contact là où ils sont, à l’écoute de ce qui peut les motiver, et cultiver la confiance en leur capacité à s’exprimer, à s’engager. Co construire avec eux et leurs familles un mieux vivre. Et former des pères ambassadeurs qui vont jouer les relais.

Le discours est volontariste et séduisant. A cette petite nuance près : dans certains quartiers sensibles, les pères ne sont juste physiquement pas là. Quelques jours avant ce séminaire nous participions à un dîner associatif à Argenteuil, dans un quartier populaire, pour débattre du rôle et de la place des pères. La discussion a essentiellement porté sur la monoparentalité. D’où l’importance capitale des actions menées pendant la période périnatale. Mais, comme l’a montré Frédérique Perrotte, il n’est pas si facile de mobiliser les pères, a fortiori les moins aisés, dès la grossesse. La problématique n’est pas franco-française, loin de là. Partout dans le monde on s’interroge sur la façon de mieux impliquer les pères, notamment les plus démunis, les moins éduqués, dès la conception (voir notre article sur une initiative au Vietnam).

Dans le troisième et dernier séminaire consacré à la parentalité par la SFSP, qui pourrait avoir lieu avant la fin de l’année 2018, il sera question du risque de la norme, sujet incontournable en la matière (voir notre article « Parentalité, universalité, relativité»). Nous avons hâte.