L’Association Nationale des Puéricultrices(teurs) Diplômé(e)s et des Etudiants (ANPDE) organise pendant trois jours les 42èmes journées nationales d’études des puéricultrices, en partenariat avec le CEEPAME. Les premières conférences ont permis de mettre en exergue la grande polyvalence en même temps que l’expertise très spécifique de cette profession en mal de reconnaissance. Une certitude : au moment où les besoins fondamentaux de l’enfant font l’objet de toutes les attentions, les puéricultrices semblent avoir plus que jamais un rôle à jouer dans le champ du soutien à la parentalité, de la prévention ou de la protection de l’enfance.

C’est la fin de la journée, il fait chaud dans le principal amphithéâtre du Palais des Arts et des Congrès d’Issy Les Moulineaux, mais plusieurs centaines de puéricultrices (et quelques puériculteurs) sont debout pour applaudir la nouvelle Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Elle n’a pourtant fait aucune annonce, et ne s’est en tous cas pas avancée sur le dossier sensible de la réingénierie de la formation (passer à quatre semestres de formation et obtenir un grade master). Mais elle était là, pour ces 42èmes journées nationales d’études des puéricultrices, et c’est déjà ça. La Ministre en a profité pour rappeler qu’en matière de politiques publiques concernant l’enfance et la famille, la France est un modèle. Elle insiste : les crèches constituent une solution pour progresser vers plus d’égalité des chances. « Tout ne se joue pas avant trois ans mais beaucoup se joue. C’est un investissement social qui permet de prévenir ce qu’il y a de pire : l’exclusion, le décrochage scolaire, les conduites à risque, le basculement vers la radicalité ». Elle rejoint en cela les préconisations du dernier rapport produit par Terra Nova mais c’est le rapport de la mission conduite par Sylviane Giampino qu’elle cite. Agnès Buzyn assure aussi qu’elle a conscience de la pénurie de pédopsychiatres en France et qu’elle a la ferme intention d’y remédier.
Plus tôt dans la journée, Charles Eury, nouvellement nommé à la tête de l’Association Nationale des Puéricultrices(teurs) Diplômé(e)s et des Etudiants (ANPDE) et Sébastien Colson, président sortant, ont de leur côté mis l’accent sur la spécificité et la nécessité de ce métier qui fête cette année ses 70 ans.

Accompagner mères et bébés en prison

Cette première journée de conférence a permis de mesurer la diversité des lieux d’exercice et des fonctions exercées par ces professionnels, avec une constante  : être à l’écoute des fragilités qui peuvent affleurer dès les tout débuts de la vie et avoir le souci des plus vulnérables. Antonella Menuge raconte ainsi comment elle sillonne les environs d’Etampes dans l’Essonne, en camion, pour aller à la rencontre de parents isolés qui ont peu accès aux soins et aux transports. Cette PMI itinérante permet ainsi de recevoir en consultation des gens du voyage ou des mères incarcérées à Fleury Mérogis. C’est une autre infirmière puéricultrice, Françoise Guinot, cadre supérieur de Santé à la direction de la PMI et de la Santé du 91 qui propose une immersion dans la nurserie de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. Onze détenues peuvent y être accueillies avec leur enfant, jusqu’à ses 18 mois. Elle évoque l’étroitesse des cellules où les bébés sont confinés avec leur mère de 17h30 jusqu’à 8h00 du matin, le « clac » tellement spécifique de chaque grille qui se ferme (il y en a sept à passer pour faire sortir l’enfant de la prison).

La puéricultrice doit évaluer l’état de santé de ces enfants laissés avec leur mère, leur épanouissement, leur développement psycho-moteur, observer l’état du lien mère-enfant. Il faut accompagner la parentalité tout en préparant la séparation. Parfois cette séparation est anticipée, quand les professionnels estiment que l’état de l’enfant suscite des inquiétudes ou que la capacité de prise en charge de la mère est insuffisante. La consultation dans le camion de la PMI permet une observation fine du comportement maternel. « Comment la mère porte-t-elle l’enfant ? Le brandit-elle enfant comme un trophée ? Laisse-t-elle les autres détenues le toucher sur son passage ? Le protège-t-elle ? Anticipe-t-elle la visite en prévoyant le carnet, un vêtement, une couche ? Elles n’ont pas toujours eu les moyens d’avoir une expérience épanouie de la maternité et de la parentalité. Observer les compétences du nouveau-né c’est souvent une abstraction pour elles. Elles apprennent à être mères pendant l’incarcération. » Quid des pères ? «Quand les mères sont étrangères, le père est en général resté au pays. Ou le père est incarcéré lui aussi dans une autre prison. Quand le père est à l’extérieur et a reconnu son enfant, il le voit au parloir, il peut le sortir, le prendre en week-end. »

L’expertise et le sang-froid dans les situations d’urgence : l’exemple du SMUR pédiatrique

Autres situations sous tension, autre camion : le SMUR pédiatrique. Pauline Guillier, infirmière puéricultrice pour le SMUR pédiatrique du 93, insiste sur l’importance de la présence d’une puéricultrice lors de ces situations complexes où il faut transporter un nouveau-né vers un service de réanimation, intervenir au domicile pour un enfant gravement brûlé ou sur la voie publique pour un accident. « Nous avons une longueur d’avance sur les autres professionnels en ce qui concerne les parents et les enfants. Notre présence permet d’arrêter le temps, de calmer le jeu, de prendre en charge la douleur, de rassurer parents et enfants. Au domicile, les réanimations se font en présence des parents. Ca s’apprend. Le temps de transport est aussi un temps de prévention pendant lequel on peut donner des conseils, répondre à des questions de puériculture. » Pauline Guillier propose un focus sur la mort inattendue du nourrisson. Son rôle est notamment d’aider les équipes adultes à arrêter la réanimation, d’accompagner les parents, de parler à la fratrie, d’orienter vers un centre de référence de la mort inattendue. Pour ce métier, estime-t-elle, « il faut de l’aisance technique, beaucoup de diplomatie, du calme et de la maîtrise ».

Au plus près des enfants protégés ou en danger

Les puéricultrices sont aussi en première ligne quand il s’agit de protection de l’enfance. Maïc Carroy exerce à la pouponnière Eléanor Roosevelt à Paris. 18 enfants y sont accueillis à partir de trois jours de vie. Il peut s’agir d’une mise à l’abri en urgence, d’une réquisition du parquet ou du juge, ou d’un accueil provisoire pour des mères très isolées qui sont sur le point d’accoucher d’un deuxième enfant. La puéricultrice est garante de l’état de santé de l’enfant mais elle doit aussi l’observer, étudier ses besoins et rendre compte de ses observations auprès des professionnels partenaires. Elle assiste également aux audiences avec le juge. Quant au lien avec les parents il est évidemment complexe : « Ils sont détenteurs de l’autorité parentale. On fait face à leur colère, aux angoisses de la séparation, aux interrogations sur le quotidien. Qu’est-ce qu’ils vont rater ? On favorise contact téléphonique pour leur parler de l’évolution de l’enfant. On propose qu’ils assistent aux RV médicaux, on fait en sorte que parents donnent première cuillère. »

La question de la protection de l’enfance était très présente lors de cette première journée. Violaine Blain, directrice du Service National d’Acceuil Téléphonique de l’Enfance en Danger a rappelé que le 119 a reçu en 2016 plus de 470.000 appels qui ont donné lieu à la transmission de 15.000 informations préoccupantes. Les enfants ciblés par les appels ont 8 ans et demi en moyenne. Au fil du temps l’âge moyen diminue. Il semblerait que les petites filles de moins de trois ans soient de plus en plus concernées. « Comment repérer et agir ? » Interroge Violaine Blain.  « Il ne pas rester seul. Il faut échanger sur ses doutes, ses inquiétudes. A-t-on la bonne interprétation ? Ne pas hésiter à nous appeler pour penser ensemble l’impensable. » Elle préconise aussi de rester en alerte sur certaines situations : un suivi médical aléatoire, un déni de grossesse, un traitements pas pris, des troubles du lien d’attachement.

Plus tard une avocate, Véronique Logeais procédera à quelques rappels concernant les dispositions réglementaires et législatives. Le signalement est réservé au parquet et c’est la gravité de la situation qui doit commander de s’adresser directement au procureur (ndlr: la loi du 16 mars 2016 a légèrement modifié le principe de subsidiarité). En cas d’absence de danger grave et immédiat, l’information préoccupante (IP) est transmise à la Cellule de Recueil de l’information Préoccupante. La juriste incite fortement les participants à se former à la rédaction d’une IP. « Les IP sont considérées comme un outil d’argumentation et d’aide à a décision. Il faut avoir en tête la distance entre le rédacteur et le destinataire qui n’exercent pas le même métier, donc les interprétations peuvent varier. Il faut être très précis, opter pour la restitution des paroles prononcées. Aujourd’hui on utilise beaucoup le concept de l’écologie. Le professionnel signalant doit décrire la réalité perçue de la famille de façon factuelle dans le respect de l’intérêt de l’enfant, du droit et des libertés des parents.»

Présentes aussi au sein des urgences médico-judiciaires

Patricia Vasseur, infirmière puéricultrice, invite de son côté à une autre immersion déstabilisante. Elle raconte son quotidien au sein des urgences médico-judiciaires pédiatriques de l’Hôtel Dieu. Ce service qui ne travaille que sur réquisition judiciaire, doit notamment aider à la détermination de l’âge physiologique d’un mineur. C’est ainsi que des jeunes filles nigérianes prostituées, reconnues mineures, ont récemment pu être protégées. Il faut aussi constater les traces de violences. Celle d’une contention autour du poignet d’un bébé, l’empreinte d’une boucle de ceinture dans le dos d’un enfant même si aujourd’hui les marques sont davantage laissées par des câbles (il n’y a plus de martinet mais des câbles partout dans les foyers). Le constat des lésions s’accompagne de la délivrance d’une interruption temporaire de travail quantifiée en nombre de jours. Les UMJ examinent aussi les fillettes qui risqueraient d’être excisées lors d’un séjour dans le pays d’origine. Faire constater avant le départ l’intégrité de leur appareil génital constitue un outil très dissuasif, notamment pour la famille sur place. Les UMJ de Paris procèdent aussi à 250 examens par an de mineurs victimes d’agression sexuelle.

Soutenir la parentalité dès la maternité

Heureusement pour elles, les puéricultrices sont aussi auprès des parents et des enfants qui vont raisonnablement bien (il y en a aussi), pas forcément confrontés à des situations lourdes, et auprès desquels elles peuvent pleinement assurer un rôle préventif. Sandra Caserio est en charge de l’espace Parentèle à l’hôpital Trousseau, un lieu spécifique, non médicalisé, dédié au soutien et à la prévention, créé au sein du pôle de périnatalité, qui permet un lien entre l’antenatal et le postnatal. L’espace propose des ateliers aux futurs et jeunes parents sur des sujets très divers (droits sociaux, retour à la maison, massage, portage, dons d’ovocytes…) animés par des professionnels tout aussi divers (auxiliaire de puériculture, infirmières, puéricultrice, sage-femmes, diététicienne, EJE, assistante sociales, psychologue, obstétricien, pédopsychiatre, officiers d’état civil…).

On le voit, les puéricultrices exercent dans des écosystèmes très variés, auprès de populations plus ou moins vulnérables, pour des accompagnements souvent très spécifiques. Comme le fait remarquer Anne Dannenmuller, présidente du CEEPAME, « on assiste à une évolution des prises en charge, une hyper spécialisation des unités de pédiatrie. Il doit y avoir mutation de la formation.» Une formation qui n’a pas été révisée depuis 1983. Pour le moment, le dossier est sur le bureau de la Ministre des solidarités et de la Santé.