Le 16 mars dernier à Montpellier, des spécialistes de la périnatalité se sont réunis pour échanger sur l’accompagnement des parents et de leur bébé, en particulier lorsque les familles présentent un fort caractère de vulnérabilité. A côté de l’étude de cas, passionnante, qui a mobilisé l’attention des participants une bonne partie de la journée, quelques présentations plus “grand angle”, à vocation plus générale, ont été proposées, sur l’origine précoce des troubles développementaux, sur la place du père à la naissance et sur la formation. Nous les restituons ici. 

En introduction de cette journée organisée par l’Afrée, Amaria Baghdadli, professeur de pédopsychiatrie au CHU de Montpellier, rappelle pourquoi « la petite enfance est si précieuse ». Elle évoque le cerveau de l’enfant, le quart de la taille d’un cerveau adulte, qui commence à se développer avant la naissance et continue bien longtemps après, dans un processus sensible à l’environnement. Le médecin parle de la boucle gènes-environnement qui peut-être vertueuse ou vicieuse, en cas de facteurs de risque. Il s’agit d’une boucle « permanente et dynamique entre le terrain génétique et l’environnement, que celui-ci soit biologique, physique, social, affectif, culturel ». Les troubles du développement, explique le médecin, résultent de perturbations pouvant survenir à différentes étapes de cette construction.

Focus sur le modèle DOHaD

Ces troubles (retard mental, épilepsie, autisme…) débutent tôt et durent toute la vie. Elle cite le modèle DOHaD (« Developmental Origins of Health and Disease » , nous en avons parlé dans un article sur la prévention pré conceptionnelle) : « On pense que c’est vraiment très tôt qu’il faut chercher les causes des maladies chroniques, dans l’exposition à des facteurs variables et très précoces durant enfance. Il y a un temps de latence relativement long entre le moment de l’exposition aux facteurs de risque et le déclenchement de la maladie ».

Pollution, perturbateurs endocriniens… L’exposition à ces facteurs n’a pas le même effet selon le moment auquel elle se produit. Amaria Baghdadli cite certains facteurs de risque pour les troubles neuro-développementaux : infections virales (cytomégalovirus, toxoplasmose), médicaments (dépakine). Le terrain génétique est plus spécifique à l’autisme puisque l’héritabilité génétique se situe autour de 70 à 80% mais on a du mal à identifier les gènes concernés. Beaucoup de mutations sont en cause. Il est possible qu’entre en ligne de compte l’interaction entre la vulnérabilité génétique et les facteurs de risque (multiples et très différents d’une population à l’autre).
Le moment où les facteurs de risque interviennent compte énormément. L’effet sera différent selon la période d’exposition. Selon le modèle DOHaD, on peut imaginer que ces facteurs interfèrent très tôt, avec la survenue du syndrome de façon plus tardive (vers 2-3 ans). L’idée est alors de comprendre à quel moment les facteurs de risque s’imposent et s’ils sont modifiables, comment ils interagissent entre eux. Répondre à ces questions permettrait de développer des mesures de prévention et d’intervention plus précoce. Car quand on intervient tard, l’efficacité des traitements est plus limitée. D’où l’enjeu constitué par les études de cohortes (comme Epipage 1 et 2). Nous avons consacré plusieurs articles sur ces cohortes : une présentation générale du principe de ces études longitudinales, une série d’articles sur Elfe, une toute récente traduction d’un article de Science dédié à la cohorte Dunedin.

Gilles Cambonie, pédiatre néonatologiste, précisera plus tard que pour l’épidémiologiste Barker à l’origine du modèle DOHaD, il s’agissait au départ d’observer les effets des carences nutritionnelles sur le poids de naissance. L’hypothèse développementale des maladies est survenue ultérieurement. L’idée était de partir des événements significatifs qui surviennent au cours de la grossesse (hypoxie, infection, traumatismes, agression nutritionnelle) et de se demander ce que va faire le fœtus. « Il va s’adapter pour survivre, avec des modifications structurelles, fonctionnelles. Ces adaptations peuvent faire le lit de maladies qui vont survenir ultérieurement. On voit les relations complexes entre environnement et équipement génique. » Il évoque les modifications de l’expression génique pour des raisons environnementales, sur les période de vulnérabilités et les fenêtres de sensibilité où cette interaction est critique.

L’accompagnant en salle de naissance et pendant la césarienne

Alors que la gynécologie-obstétrique connaît depuis quelques années, et encore plus ces derniers mois, une profonde remise en cause de ses pratiques, venues des femmes elles-mêmes, Laurent Vandenbroucke, gynécologue-obstétricien à Montpellier interroge : « Les accompagnant des femmes, eux aussi, méritent-ils mieux ? » Il cite le « remarquable travail de l’association Cesarine » sur le sujet, alors que dans la littérature scientifique on trouve peu de publications très détaillées sur ce sujet. « La présence de l’accompagnant pendant la césarienne est très aléatoire au niveau national, résume-t-il. L’accompagnant en salle de réveil reste encore anecdotique. » Il assure que les gynécologues en général ont peu de réserves. Celles-ci viennent surtout des anesthésistes  qui se demandent ainsi si « l‘accompagnant aurait sa place pour toute autre chirurgie (appendicectomie, hémorroïdectomie, cure de prolapsus)».

Les freins à la présence du conjoint pendant la césarienne

Pour Laurent Vandenbroucke, la césarienne est vue comme un acte chirurgical, ce qu’elle est. Mais c’est aussi une naissance, insiste-t-il. « Il faut instiller dans l’esprit des soignants que la césarienne est avant tout un acte émotionnel, une naissance. »
Quels sont les autres arguments opposés à cette présence de l’accompagnant au bloc ?

Le manque de place : dans un bloc opératoire beaucoup de personnes circulent, pas toujours indispensables. « La place doit pouvoir se trouver quelle que soit taille de la salle » assure le médecin.
La prise en charge de l’accompagnant en cas de malaise. « On anticipe le problème. 98% des accompagnants qui souhaitent assister à la naissance en salle de naissance le peuvent. Que change le bloc opératoire ? »
La responsabilité en cas de blessure de l’accompagnant. « Et quand il attend dans le couloir ? C’est pareil ! »
L’attitude en cas de complication. « Ca c’est un vrai problème, reconnaît le gynécologue. Il faut décider en amont de la conduite à tenir. »
Le Syndrome de stress post traumatique de l’accompagnant. « Mais ils ne voient que ce qu’ils ont envie de voir ! »

L’hétérogénéité sur le territoire national prouve qu’il n’y a aucun argument scientifique pour réfuter la présence de l’accompagnant dans le bloc opératoire. Les chiffres sont néanmoins encourageants : en l’espace de 5 ans la place du père en salle de césarienne est passée de 37% à 60%. Pour Laurent Vandenbroucke, « il n’y a pas 36 000 solutions, il faut passer par un étape de procédure écrite, c’est la bonne solution pour harmoniser les pratiques. » Il cite une vidéo du CHU de Bordeaux, qui montre une naissance par césarienne et le rôle de l’accompagnant avec les premiers échanges et le peau à peau.

La place du père nécessite un minimum de protocole

Jocelyne Clutier, sage-femme cadre au CHU de Montpellier, complète cette présentation. La place du père en salle de naissances pose selon elle la question des regards croisés, regard du père sur les soignants, de la mère sur le père. S’agit-il de la place qu’on lui laisse ? De la place qu’il demande ? De la place que la mère demande pour lui ? De la place qu’on lui impose ? Une place passive ou active ?
Elle ne doit en tous cas pas être le fruit du hasard. Il faut protocoliser cette place quel que soit l’espace. Protocoliser permet d’anticiper. Quel intérêt pour le père d’anticiper ? Avoir des réponses en amont, et ne plus avoir à y répondre en salle de naissance. Qu’il soit informé sur le déroulement d’un accouchement. Il y a un intérêt pour l’enfant, un intérêt pour les équipes. « Cela ouvre des possibles » affirme la sage-femme.
« En 2006, raconte-t-elle, on a travaillé sur les protocoles de l’espace physiologique ». Il y avait en effet une augmentation des accouchements à domicile. L’étude de la littérature, notamment la prise en charge physiologique au Canada, permet à l’équipe d’avoir des bases. S’ensuit une réflexion sur la définition du bas risque, sur la médicalisation de la naissance. Cette dynamique collective permet de « penser et réfléchir ensemble ». Des groupes de travail sont élaborés. Chacun a pu dire ses peurs sur la présence des pères. Tous les critères de surveillance sont élaborés et nécessitent une anticipation en anténatal ainsi qu’une coordination public/privé. La réflexion porte aussi sur la préparation à la naissance et à la parentalité, sur le projet de naissance construit avec les sages-femmes, sur la validation ou l’invalidation du dossier médical.

Le père dans l’espace physiologique:autonome et acteur

En 2006 le projet est suspendu. Il repart en 2012. Entre temps, le travail a évolué. Un cahier des charges est élaboré, de l’anténatal au postnatal, qui porte sur le parcours de la patiente, sur les modalités de prise en charge de la mère, du père et de l’enfant. C’est une démédicalisation raisonnée et toute sécurité qui est mise en avant. L’espace physiologique a ouvert en 2013. Aujourd’hui il en existe trois. L’objectif : « démédicaliser toutes nos salles et toutes nos prises en charge et réserver la médicalisation eux patientes qui en ont vraiment besoin. » La place du père avance très vite.
Dans l’espace « physio » il est partie prenante de l’élaboration du projet de naissance, c’est un acteur, un soutien impliqué dans l’accompagnement de sa conjointe en l’absence d’une sage-femme disponible en continu. Donc le père doit être vraiment autonome et acteur.
Que se passe-t-il en cas de complication, d’extraction instrumentale, de césarienne ? « On a eu un frein des anesthésistes, reconnaît la sage-femme. Il fallait définir un cadre et s’engager dans ce qu’on pouvait respecter. »

Une sage-femme est dédiée aux césariennes programmées. Grâce à deux anesthésistes motivées, en 2014 se met en place une systématisation de la proposition au père d’être présent pour la césarienne programmée. Une nurserie spécifique est créée, la mise au sein se fait au bloc, et un don de colostrum est effectué pour les enfants transférés en pédiatrie. Résultat : sur 148 césariennes programmées, le père a pu être présent à 82%. Dans 38% des cas le peau à peau a eu lieu avec les 2 parents. La tétée d’accueil au bloc a été possible pour 76% des mères. Le père a assisté aux soins du bébé à 94%.

Jocelyne Clutier évoque un exemple précis : Madame S veut accoucher physiologiquement, elle ne voulait pas de césarienne. Césarisée, elle dit après l’intervention : « J’ai tout raté ». Le père, lui, est ravi : « j’étais là, j’ai vu le bébé arriver, c’était génial. » Finalement le surlendemain, madame S explique « j’étais en césarienne mais mon compagnon était là, j’ai fait du peau à peau, la mise au sein, j’ai fait ce que je voulais ». La vraie question n’était pas la césarienne mais le reste. Pour cette femme, la césarienne invalidait tout : mise au sein, peau à peau, présence du père.

Accueillir le père : un surcroît d’effort pour chaque professionnel concerné

Clothilde Palmieri, psychologue à la clinique Saint Roch de Montpellier, est allée échanger avec tous les corps de métier dans sa structure sur la place du père. « Accueillir les pères en consultation demande un effort car les pères travaillent, ils ne sont pas toujours disponibles », note-t-elle.
Quand on voit des dames pour un accouchement traumatique, ce qui est difficile c’est la séparation mère-bébé et mère-conjoint. Les papas sont tiraillés entre leur compagne et leur bébé.

Quel est le rôle des soignants ? La sage-femme est celle qui accompagne le couple sur un temps plus long, elle jauge le degré d’investissement du père. Elle fait l’éclaireur et oriente les autres professionnels. Il y a des pères plus en retrait, d’autres très présents. En salle physiologique, les soignants s’effacent et laissent la place au couple. La continuité entre le suivi anténatal et postnatal est essentielle. Lors des césariennes programmées, les pères sont quasi systématiquement présents.
Le père est un patient à part entière, en plus. Les consultations prennent plus de temps. C’est une charge de travail en plus. Le peau à peau proposé au père constitue une voie vers l’établissement des premiers liens d’attachement. « A Saint Roch on ne peut pas encore faire de peau à peau pour les mères dans le bloc, explique la psychologue. Donc c’est proposé au père dans la salle à côté. Ce premier lien qui se tisse permet au père de s’investir. C’est très bénéfique pour la suite. Maintenant on le propose aussi pour les voies basses, parfois. »

Quand il y a séparation mère-père-bébé, comment médiatiser le mien ? Les auxiliaires de puériculture font les allées et venues entre les uns et les autres, prennent des photos. La psychologue pose la question des nouvelles technologies (smartphone, partage de l’info) : il y a des avantages et des inconvénients. D’après le pédiatre, « ça crée aussi de la distance ». Beaucoup de papas sont très préoccupés par le partage de l’information en temps réel et donc ne ils ne sont plus présents psychiquement dans ce temps de rencontre avec leur bébé.
Il y a un « couloir des pères » (peut-être pourrait-il être rebaptisé, concède Clothilde Palmieri). C’est très pratique, ça leur donne une place, c’est symboliquement assez fort.
La psychologue évoque une patiente reçue avant hier. Elle racontait son accouchement précédent, par césarienne, en l’absence du papa. Elle dit n’avoir rien ressenti pour ce bébé lors de cette naissance. Quand elle est revenue du bloc et a vu le papa en peau à peau avec le bébé, c’est là que l’émotion naît. « Je les ai trouvés beaux tous les deux».

Echanges avec la salle sur la présence du père à l’accouchement

Gilles Levy, gynécologue-obstétricien à Belfort prend la parole : « L’entretien prénatal précoce est un moment idéal pour interroger la place du père. Cette place doit être omniprésente dans esprit des professionnels. Je fais beaucoup d’échographies, s’il n’est pas là, je demande pourquoi il n’est pas là. Quand il est là je lui demande à lui aussi comment il va. La place du père en césarienne c’est important. Il a une place, même quand il n’est pas là. Je me souviens du cas d’une femme avec une césarienne en urgence. Deux mois et demi plus tard je reçois ce couple démuni en consultation. Le père voulait porter plainte contre l’équipe parce que pendant une heure personne ne lui avait donné de nouvelles. Alors que l’équipe avait sauvé la mère et l’enfant. La place du père va au-delà de sa place physique dans la salle de césarienne. »

Kinga Havasi, sage-femme, rappelle que « seules 28% des femmes ont un entretien prénatal précoce ». « Pourquoi 74% des pères sont-ils absents à l’entretien prénatal ? Pourquoi on a autant de mal à les accrocher dans la préparation à la naissance ? »

Dans la salle une professionnelle intervient : « J’ai été très choquée de voir l’état civil arriver dans les chambres de maternité où très souvent le père n’est pas là. Avant la mère inscrivait l’enfant dans la vie, le père allait l’inscrire dans la société (et il avait 3 jours pour le faire). »
Pour Reine Vander Linden, psychologue clinicienne belge « on ne doit pas sous estimer le nombre de mères qui ont fait l’expérience d’une vie d’enfant sans père et qui ont du mal à faire cette place dans leur tête. Les professionnels doivent être des catalyseurs ».
Pour Perrine Millet, gynécologue-obstétricienne, « On ne réfléchit jamais sur la répercussion sur le soignant de la présence du père dans la salle de césarienne. » « Ca implique une asepsie verbale majeure pour le soignant. Ca nous oblige à accueillir l’enfant. Ca change tout. On a 3% de détresse respiratoire transitoire sur les césariennes programmées. Personne n’est allé cherché dans la façon dont nous, chirurgiens obstétriciens, sortons les gamins. Il faut prendre le temps, faire pousser la dame. Si on faisait une étude sur comment on accueille le bébé, n’aurait-on pas moins de détresse respiratoire dans les césariennes programmées ? »

Une sage-femme de Lunel observe : « Du fait des horaires, de leur travail, les papas sont rarement disponibles. Mais quand on leur offre l’occasion de venir, ils viennent. Les mamans elles mêmes sont surprises des questions et de leur intérêt. »
Une osthéopathe et jeune maman, venue avec son bébé, se saisit à son tour du micro : « C’est aussi le rôle des secrétaires des sages-femmes de dire que le père doit être présent. Si on n’est pas dans le milieu, on ne le sait pas. Mon conjoint est un peu brut de décoffrage, il n’exprime pas grand chose. Pour lui la grossesse et l’accouchement c’était mon affaire. Il pensait que j’étais un peu maso de vouloir un accouchement naturel. Il disait à tout le monde « ma femme est tarée, on habite Nîmes, elle veut accoucher à Montpellier ». Quand on est arrivés à la maternité, j’étais dilatée à 6, c’est allé très vite. J’étais allongée sur lui. Il a été totalement acteur, coach. Il m’a remercié pour cet accouchement. Il m’a dit « j’ai eu l’impression d’accoucher ». »

Pour Gilles Cambonie, pédiatre néonatologiste, le père est le « grand absent de la médecine périnatale ». « Je ne connais pas d’échelle de lien père-enfant. L’attachement père-enfant est peu décrit. Ce n’est pas présent dans Epipage 1 et 2. La place qu’on lui a donné c’est de faire avaler à la mère la pilule qu’elle va être séparée de son enfant. » Mais il insiste : «Pour moi, le peau à peau précoce c’est la mère. La niche écologique de l’enfant c’est sa mère. Il faut donner sa place au père mais la déconnecter de ce problème de la thématique de la césarienne.» Et de préciser que « Les études sont faites, on les connaît ! » Elles montrent que quand il y a quelqu’un avec une mère seule, quand on lui attribue un accompagnant, ça se passe toujours mieux pour tout : le suivi de la grossesse, et l’accouchement.

Les pistes pour améliorer la formation

En clôture de cette journée, une dernière table-ronde est consacrée à la formation. Amina Yamgnane ouvre le bal. « Dans ma formation de base l’apprentissage de la gynéco obstétrique était exclusivement mécanique, biologique. Les supports conditionnent beaucoup la façon dont on fonctionne. Un dossier de grossesse où il y a des antécédents, le poids, ça vous contraint, ça vous empêche, c’est une formidable opportunité de ne pas s’occuper du reste. Ce matin on l’a vu un certain nombre de contraintes dures sont là et le bébé ne peut pas se développer sans s’appuyer sur des adultes soutenants. Aujourd’hui en Europe toutes les femmes bénéficient d’un suivi de grossesse. Un des endroits primordiaux où il faut mettre la gomme, c’est bien là. Sinon on se prive d’occasions et on laisse la place à une série de glissements, de dérapages. Les acteurs du champ périnatal sont à l’avant garde. J’ai été très en lutte avec les patientes. J’ai changé d’horizon quand je me suis formée à ces notions. Il faut que nous, collectivement, nous nous décidions à être moteurs et déterminés que ces choses ne soient plus laissées au hasard. Le coût pour les parents, les enfants et les adultes en devenir est exorbitant. »
Elle plaide pour les outils numériques parce que pour un patient il est très difficile d’être interrogé sur ses vulnérabilités potentielles par un médecin censé l’aider à avancer par le haut. « C’est vécu comme une tentative de disqualification. L’auto questionnaire est très intéressant. On peut donner des échelles aux patientes. Nous serions fondés à réfléchir à développer ce type d’outils pour les usagers. Il y a des tas d’enfants qu’on voit comme la petite Lila. Ce serait bien que ces parents s’en rendent compte par eux mêmes. Ils pourraient avoir en push une vidéo qui leur parle des compétences moyennes et une vidéo où on voit un enfant pour lequel on a des inquiétudes. Mais à condition qu’ils aient un endroit où aller en cas de doute. »

En réanimation, en finir avec l’unité de lieu

Antoine Burguet évoque ensuite sa spécialité, la ranimation pédiatrique. « Le pédiatre doit-il s’intéresser au vécu de l’anténatal ? » « Comment je peux donner envie à des jeunes en formation de s’intéresser à quelque chose qui, croient-ils, n’a pas d’impact immédiat sur la survie des bébés ? »
Il explique que dans le monde fermé de la réanimation on est vite persuadé que tout le monde fait le même travail. Or, il n’en est rien. « Quand on fait une étude de benchmarking, les pratiques sont très différentes à 80 km de distance. La variabilité est toujours présentée comme un défaut de compétences. Il faudrait aligner les pratiques sur les meilleurs. Mais cette variabilité n’est pas forcément aléatoire. Dans certains endroits on raisonne de façon différente. Ce n’est pas un défaut de compétence mais d’appétence. Sans le savoir nous avons tous des codes de communication. Quand on change d’équipe on peut être déstabilisé par le décalage de langage. Au niveau des parents comment ça se traduit dans la communication? Si on suit les recommandations de la HAS, on doit énumérer toutes les catastrophes qui peuvent survenir. Au mieux le parent n’entend pas, au pire il en reste des séquelles. »

Il raconte qu’historiquement il y avait pour les réanimateurs unité de lieu de théâtre grec. On leur interdisait de suivre les enfants au prétexte que cela risquait de modifier leur pratique. « Aujourd’hui ça s’ouvre, constate-t-il. Il faut former jeunes à être curieux. Leur montrer qu’ailleurs on ne fait pas forcément la même chose. » Qu’est ce qui a évolué ? « La sécurité émotionnelle avec les soins de développement d’abord, d’autres pratiques avec les formations de l’Afree ensuite. » Les jeunes qui passent le concours d’internat sont sélectionnés sur leurs performances de QCM sur tablette, relève le médecin. Les internes qui travaillent dans les services de réanimation passent huit heures devant un écran. Les médecins regardent leur écran et plus le patient. « Il faut remettre de l’humanité, c’est un combat permanent, plaide-t-il. Pendant les transmissions on a une avalanche de chiffres. C’est bien d’avoir un Jiminy Cricket au fond de la salle : vous savez si le protocole a été respecté mais vous ne savez pas si l’enfant va bien.»

En psychologie, des formations pas assez concrètes

Danae Panagiotou, psychologue, restitue les résultats d’une enquête menée auprès d’étudiants en psychologie. « Les pratiques périnatales ont beaucoup évolué, pose-t-elle en introduction. Les psychologues font au moins 5 à 6 ans d’études, 600 heures de stage. Il y a une formation de masse jusqu’à la 4ème année puis une élimination de 3/4 des étudiants. Que disent les étudiants en 4è et 5è année ? Ils déplorent le manque de travail en réseau, d’exemples, de cas concrets, d’exercices de réflexion. Parfois le vocabulaire est tellement jargonnant que les étudiants ont du mal à comprendre”. Danaé Panagiotou estime qu’une des fonctions du psy est de « se mettre à la place du patient et des autres professionnels ». « En périnatalité on est au carrefour de plusieurs disciplines, l’idéal serait de regrouper toutes ces disciplines autour de la famille. Mais en réalité c’est une tour de Babel, chacun parle son langage. » Elle évoque le cloisonnement des formations, du monde médical et de l’éducation, des besoins des adultes et des enfants, des professionnels du terrain et du monde académique, ainsi que les cadres de référence multiples, variés, hétérogènes.
Les demandes des étudiants ? « Echanger sur de potentielles prises en charge et s’entraîner à pouvoir les expliquer de manière simple aux patients. Avoir un carnet d’adresse, distribuer des fiches de postes des principaux métiers retrouvés en périnatalité, plus de cas vidéo, plus de concret, sur le comment thérapeuthique, apprendre à réfléchir à plusieurs voix et débattre, avoir des interventions de professionnels d’autres disciplines, comprendre comment ils gèrent, quels sont les obstacles rencontrés, visionner des supports vidéo pour observer les comportements des parents afin de développer un œil clinique plus avisé. »

Ce que propose la psychologue également : intégrer plus de jeux de rôle, proposer des exercices de rédaction de comptes-rendus pour des destinataires différents dans un vocabulaire accessible, apprendre des compétences en communication, travailler sur de vraies situations cliniques de manière prospective, longitudinale et pluridisciplinaire, faire intervenir d’autres professionnels, créer des modules interdisciplinaires et transversaux, s’appuyer sur les témoignages de parents.

L’étude de cas approfondie, difficile à implanter

Christine Kirkpatrick, gynécologue obstétricienne, constate qu’il est parfois difficile « d’appliquer dans notre service le fait de discuter d’un cas pendant 2 ou 3 heures ». « C’est un outil formidable mais il y a beaucoup de turn over de personnel donc il faut sans cesse reformer. Ca ne marche que s’il y a quelqu’un au milieu du service qui en fait sa chose et motive les gens
Pour Anne Morard, pédopsychiatre venue de Suisse, pour réussir à imposer ce travail en profondeur, il faut « laisser du temps au temps, de l’obstination, de l’endurance, de la prise de risque ». Et puis savoir dépasser la douleur, être frustré quelques fois, s’entourer. « Comment quand on est seul sur le terrain on arrive d’une graine de tournesol à avoir un champ de tournesols ? »
« On a dû contourner, explique-t-elle. Les Suisses ne voulaient pas payer des formations à Montpellier. On a renversé les choses, on a fait venir Françoise Molénat à Lausanne et à Genève, à Morges. Il faut aller chercher des acteurs. A chaque endroit il y a une personne qui peut motiver les gens. Quand on est seul on fait tout. On est obligé de mouiller sa chemise même si on ne sait pas où on va.»

Les professionnels présents ont aussi resserré la focale pour s’intéresser à l’histoire de Sofia et de ses parents, grâce au récit à plusieurs voix de cette grossesse un peu particulière et des premiers mois de cette petite fille.