Le rapport consacré à la politique de la ville (c’est à dire aux banlieues sensibles) remis par Jean-Louis Borloo au Premier Ministre la semaine dernière, intitulé « Vivre ensemble, vivre en grand, Pour une réconciliation nationale », contient quelques préconisations relatives à la petite enfance.

Le rapport Borloo revient en premier lieu  sur un sujet brûlant, l’universalité de la politique familiale, et en conteste le principe, au-delà de la seule question des allocations. « Au nom de l’universalité, on donne moins à ceux qui ont moins : les enfants de familles fragiles, ceux à qui on ne parle pas français à la maison, sont accueillis moins que les autres dans les lieux de socialisation, les crèches, les jardins d’enfants, les maternelles à 2 ans… Les enfants que l’on accueille davantage dans ces lieux, ce sont ceux dont les parents maîtrisent le mieux le système. » En creux, s’inscrivant dans une tendance actuelle de contestation d’un universalisme pervers qui reviendrait à privilégier l’égalité plutôt que l’équité, le rapport se prononce pour un universalisme proportionné.

Crèches, assistantes maternelles, scolarisation précoce : augmenter la capacité d’offre pour les populations précaires

Les auteurs s’intéressent aux crèches et constatent comme d’autres depuis longtemps que « 5% des enfants des 20% des ménages les plus modestes sont accueillis en crèche, contre 30% des enfants des cadres et professions intellectuelles supérieures. » « Dans les Quartiers Prioritaires de la  Politique de la Ville (QPV), les crèches accueillent peu d’enfants du quartier. Depuis plusieurs années, la construction de crèches ralentit, parce que les communes ne sont plus capables d’en assumer le coût. Ce phénomène est accentué dans les QPV, la part de prise en charge par les communes et les familles n’est pas supportable. Les places ne couvrent que 22% des besoins dans les QPV. 40% des QPV ne disposent pas d’une crèche. »
L’ancien ministre propose donc « le financement de 20.000 places de plus que ce que contient le projet de COG, la réduction à 1.500€/an du reste à charge pour les communes pour les crèches en QPV, la diversification de l’offre (ces places doivent concerner des crèche classiques, mais aussi les différentes formules alternatives : crèches parentales, crèches familiales, micro-crèches, crèches à vocation d’insertion professionnelle, haltes garderies, jardins d’enfants…), l’adaptation de l’offre aux besoins des QPV, par des projets pédagogiques souples et diversifiés, centrés sur la socialisation et l’apprentissage du langage, et un accompagnement des parents ».
Il est également fait référence aux assistantes maternelles puisque le rapport propose de créer 300 maisons d’assistantes maternelles « qui permettent l’exercice de ce métier dans des locaux partagés et mieux adaptés qu’un logement individuel » mais aussi de généraliser dès 2019 le CMG tiers payant, sans qu’il soit fait mention d ‘ailleurs dans le rapport de conditions de ressources.
Le rapport recommande également de tripler la préscolarisation à 2 ans en REP+ (même si les effets de la scolarisation précoce, notamment pour les enfants de milieu défavorisé ne semblent pas si probants) et de relancer les classes passerelles (cette expérimentation lancée en grandes pompes il y a quelques années mais jamais généralisée, consiste à accueillir de très jeune enfants das une classe de maternelle avec un enseignant, une ATSEM et un éducateur de jeunes enfants).
Etant donné l’échec de la politique assez volontariste en matière de modes d’accueil de la dernière COG, il est permis d’être assez réservé quant à la possibilité d’un accroissement soudain et massif de l’offre d’accueil des moins de trois ans, y compris dans les QPV.

Soutien à la parentalité : s’inspirer des programmes standardisés en protection de l’enfance

L’accompagnement à la parentalité fait l’objet d’un court développement, avec une incitation claire à passer d’une politique de dispositifs à une politique de programmes qui s’inspirerait de l’approche anglo-saxonne. Le rapport cite les expériences les plus connues, Perry Preschool (soutien éducatif renforcé à des enfants de 3 ans), Carolina Abecedarian (soutien éducatif précoce), Head Start (accompagnement précoce social et éducatif) ou Nurse Family Partnership (accompagnement des mères). Le rapport note que « la France investit très peu dans ce type d’actions » et déplore que « l’ensemble du budget « soutien à la parentalité » de la CNAF représente à peine une centaine de millions d’euros. »
Le rapport n’occulte pas l’aspect financier, là encore dans la lignée d’une notion à la mode, celle d’investissement social. « Les départements dépensent plus de 7 milliards d’euros par an au titre de l’aide sociale à l’enfance. Un placement d’enfant coûte près de 40.000€ par an, et dans certaines communes en politique de la ville, jusqu’à 12% des mineurs sont protégés par l’aide sociale à l’enfance. Pour le département, les coûts se chiffrent en millions d’euros de dépenses dans chacune des communes concernées : plus de 15M€ dans cette commune de 20.000 habitants, près de 40M€ dans cette commune de 100.000 habitants, plus de 4M€ dans cette commune de 10.000 habitants … Si un travailleur social permet d’éviter un seul placement, il couvre le coût de son poste pour 3 ans. »

Les auteurs évoquent le programme « BASE » pour « Bonus d’accompagnement social et éducatif » destiné aux 0-6 ans et à leur famille. Il s’agit d’« un investissement social précoce pour des enfants identifiés par les services sociaux » qui revient donc à penser une politique de soutien à la parentalité très ciblée, pour les familles considérées comme particulièrement vulnérables puisque déjà identifiées par les services sociaux. Mais identifiées pour quelles raisons ? Parce que la famille fait déjà l’objet d’une procédure de protection de l’ASE ou parce qu’elle est considérée comme étant à risque sur des critère psycho-sociaux ?
Le rapport ne précise pas non plus dans quelle mesure ce programme viendrait s’articuler avec les dispositifs existants (REAAP, LAEP, lieux de médiation familiale). Il détaille en revanche le contenu de ce programme. L’intervention envisagée doit être : précoce, dès les premiers mois de l’enfant, dense, plusieurs heures par semaine, plusieurs années si nécessaire, contractualisée avec la famille, comprenant une part d’intervention des parents. Il s’agit en tous cas d’une conception différente du soutien à la parentalité que celle actuellement proposée, reposant moins sur la valorisation passive de compétences parentales pensées comme innées que sur un accompagnement plus dirigiste, plus formalisé et certainement plus contraint. Ces expériences de soutien inspirées des programmes standardisés étrangers sont régulièrement mises en avant en France, elles font l’objet d’expérimentations parcellaires dont nous rendons régulièrement compte ici, sans que cela ne se traduise par des orientations générales officielles, en raison notamment de fortes réticences des experts référents sur le sujet en France (c’était encore assez évident lors du colloque organisé en septembre dernier par la CNAF et l’IRIS sous la houlette de Claude Martin). Sera-t-il plus évident, moins problématique, de s’inspirer de ces programmes standardisés et de cette conception plus dirigiste du soutien à la parentalité dans le cadre de la protection de l’enfance ?

L’approche se veut assez holistique puisqu’elle déborde sur l’école : préscolarisation en maternelle à 2 ans dans une demi-classe, aide périscolaire de 2h par jour de 3 à 6 ans (langage et compétences sociales), un suivi coordonné par un travailleur social référent pour l’ensemble de la famille et l’ensemble des intervenants. Pour l’aspect financier : l’action serait copilotée et mise en œuvre par le département et l’éducation nationale, avec l’appui de la CAF. Son coût serait de 10.000€ par an et par enfant, dont 6.000€ au titre de la préscolarisation, avec un objectif de montée en charge de 10.000 enfants par an.
Le Président de la République doit s’exprimer sur la politique de la ville (et donc sur le rapport Borloo) le 22 mai prochain. La Direction Générale de la Cohésion Sociale doit de son côté annoncer d’ici la fin du mois les grands axes de la prochaine stratégie nationale de soutien à la parentalité.