Voici notre deuxième article consacré à la journée co-organisée par la CNAF et l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux sociaux (IRIS) sur le thème « L’action publique en direction des parents : quels problèmes ? Quelles réponses ? ». Ce compte-rendu porte sur les interventions dédiées aux besoins et pratiques des parents. Un premier article relaie l’introduction du colloque avec un rappel historique, une perspective internationale et un focus sur les débats toujours d’actualité. Un troisième et dernier article est dédié aux dispositifs existants et aux pratiques professionnelles.

Lors du colloque organisé ce mardi 19 septembre dans les locaux de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales autour de l’accompagnement à la parentalité, l’attention s’est bien évidemment portée sur les parents, leur ressenti, leurs besoins et la très grande diversité de leurs pratiques.
Jeanne Moeneclaey, de la CNAF, a livré les résultats d’une enquête effectuée auprès de 6600 parents ayant au moins un enfant de 0 à 17 ans (voir notre article sur le sujet). Parmi lesquels 24% étaient des mères seules et 16% des familles recomposées. A 51% ces parents estiment que leur rôle n’est pas ou pas du tout facile. Ce sont les parents d’adolescents qui semblent les plus en difficulté. Les femmes reconnaissent davantage de difficulté que les hommes. Le fait d’être en emploi accentue ce sentiment. Le critère du revenu a peu d’impact sur les réponses. Les préoccupations principales des familles quant à leur rôle sont : offrir de bonnes conditions de vie à ses enfants, faire les bons choix en matière d’éducation, faire en sorte d’être proche de ses enfants, être suffisamment disponible pour eux. Concernant l’éducation, les parents s’inquiètent en premier lieu de : la scolarité, la santé, les violences, le comportement de leurs enfants, l’autorité, la communication, la gestion des conflits. Huit parents sur dix se disent préoccupés par au moins une de ces questions. Les difficultés les plus fréquemment rencontrées sont relatives à la scolarité et la santé.

Les parents en quête de réponses concrètes plus que de valorisation

Qu’attendent les parents ? C’était l’une des questions posée par cette enquête. Ils attendent « une réponse concrète ». Ils ont un problème, ils veulent une solution. 30% sont intéressé par l’idée de partager leur expérience avec d’autres parents. Ils veulent aussi avoir de l’information, acquérir des savoirs et des compétences. En revanche, reprendre confiance, rompre l’isolement apparaît comme secondaire (ndlr : c’est intéressant dans la mesure où dans le discours des acteurs, les actions proposées consistent justement à vouloir redonner confiance au parent et à ne surtout pas proposer de « recettes »). Un tiers des parents veulent échanger individuellement avec un professionnel, un tiers aimeraient avoir des informations sur internet. Ils souhaitent des activités entre parents et enfants, et des échanges avec d’autres parents mais en présence d’un professionnel. Quant au lieu, ils plébiscitent les écoles, les crèches, les centres de loisirs mais refusent les CAF ou centres sociaux, identifiés comme étant réservé à un public spécifique.

Expliquer le faible recours des parents aux dispositifs proposés

Dans ce souci de cerner au mieux les besoins et le ressenti des familles, Marion Manier, chercheuse attachée à l’Université de Nice Sophia Antipolis et à la CAF des Alpes-Maritimes, présente de son côté une recherche qualitative sur le thème « s’informer, s’entourer, gérer le poids des normes ». L’objectif était de comprendre cet apparent paradoxe : il y a un manque de participation des usagers alors que les attentes et les besoins seraient forts. Les parents recourent assez peu aux actions qui les visent.
Marion Manier a donc cherché à comprendre leurs expériences, leurs questions, leurs difficultés et à identifier ce qui fait obstacle à la démarche des parents vers les professionnels. Il s’agissait pour elle d’ « interroger les leviers de la participation ».
L’enquête qualitative a été menée auprès de 24 mères et 7 pères. Les attentes à l’arrivée d’un premier enfant portent sur le fait de bénéficier d’informations accessibles, fiables, expertes (beaucoup d’informations circulent), de soutien moral et domestique, d’échanges et de sociabilité. Les parents en recherche d’information et d’expertise ont plutôt tendance à s’adresser aux professionnels. Les parents des classes moyennes et supérieures attendent des savoirs fiables. Les parents plus modestes privilégient l’accessibilité à l’information et la proximité des interlocuteurs.
D’après la chercheuse, les contrastes sociaux sont peu prégnants mais les attentes sont en revanche très genrées. Les mères souhaitent avoir recours à d’autres mères, les différences hommes/femmes sont manifestes. Les femmes font plus souvent l’expérience de l’isolement et de la solitude et expriment plus d’attente de sociabilité.

Des stratégies, notamment d’évitement, pour faire baisser la pression

En creux se dessinent de grands motifs de non recours, ce à quoi ou à qui les parents veulent échapper. Les parents ne veulent pas être soumis à une trop grande variété de messages et d’injonctions (allaitement, sommeil, pleurs, prime éducation…ils entendent tout et son contraire) qui renforcent les incertitudes. Ils mettent en place des stratégies pour éviter les impasses (décider de n’avoir qu’un seul interlocuteur), pour ne pas ajouter de l’angoisse à l’angoisse (cela peut aller jusqu’à réduire le suivi de grossesse). Un conseil peut être pris comme un reproche. Les stratégies d’évitement servent à faire baisser la pression et peuvent expliquer le faible recours. Les familles perçoivent le poids des attentes sociales et normatives, relayées par les conseils des professionnels, des institutions, de l’entourage. Ces conseils dessinent des normes et modèles de bonne parentalité. « Etre un bon parent est une injonction contemporaine » résume Marion Manier. La place grandissante de l’enfant renforce les exigences que les parents ont d’eux-mêmes.
D’après cette étude les réponses varieraient peu selon le statut socio-économique des personnes interrogées. Alors que dans l’enquête que vient de publier l’organisme québécois Avenir d’enfants sur le même thème (effectuée auprès de 14.900 parents), de nets clivages apparaissent selon les milieux sociaux, avec des parents dont le niveau de stress et de pression augmente avec le revenu. Dans l’enquête québécoise, les familles les moins aisées se disent beaucoup plus sereines que les parents aisés.

Marion Manier évoquent ces parents qui disent vouloir ou avoir voulu trop bien faire, comme cette mère professeur d’histoire qui nourrit de très fortes exigences (Faire à manger bio, allaiter.) et a éprouvé un sentiment d’échec. « Les parents perçoivent le contour flou de la parentalité sans que le contenu soit défini ». Certains parents se mettent à distance, ce qui peut se traduire par un retour à la nature, une critique de la sur médicalisation. Pour la chercheuse, le poids des normes est très significatif dans le récit des mères, avec un sentiment de culpabilité et d’échec. Elle conclut avec l’idée qu’à l’instar de la médecine, il faudrait chercher à appliquer ce principe : « Avant tout ne pas nuire ». Et éviter d’être une source supplémentaire de norme.

Les débats en matière de parentalité tournent toujours autour de cette notion de normes, qu’il s’agisse de constater leur variabilité d’un groupe social à un autre, de dénoncer leur hiérarchisation selon le milieu social ou d’appeler à leur abolition (le discours dominant sur la parentalité consiste à prôner une « approche non normative »). Dans la salle un représentant de la CAF de Paris interroge ainsi Marianne Modak : « Comment imposer l’égalité homme-femme sans imposer de nouvelles normes ? » La chercheuse cite Jennifer Nedelsky, spécialiste américaine du droit et du féminisme : « On a bien obtenu l’interdiction de fumer, imposons le partage du travail de care (soins). Imposons de nouvelles normes. »

Des pratiques parentales différentes selon le statut social et l’origine culturelle

Bertrand Geay présente quant à lui le travail de recherche qu’il mène à partir des premiers résultats de la cohorte Elfe. Nous avons déjà relayé ses analyses précédemment. Le chercheur estime qu’on ne fait pas assez dialoguer les sciences sociales et psychologiques en France alors qu’on connaît bien aujourd’hui l’impact des facteurs sociaux sur le développement de l’enfant. Ces liens sont notamment bien établis concernant le langage et la cognition. Précisons ici que la littérature est abondante sur le sujet mais que cette corrélation n’en demeure pas moins toujours contestée (par crainte de la stigmatisation) par certains experts et acteurs de terrain. La cohorte Elfe constitue la première grande étude longitudinale française depuis l’enfance. Il s’agit d’un échantillon aléatoire national des enfants nés en 2011. Elle comporte de nombreuses données sociales, porte sur un effectif important et accorde une grande attention au modèle éducatif. « Souvent les premiers âges de la vie sont abandonnés par les sociologues, note Bertrand Geay. Il s’agit ici de voir comment les variables sociales interviennent dès la première année. »

Quels sont les résultats, pour le moment limités dans la mesure où ils portent sur des enfants âgés de un an ? Le chercheur relève  “un effet diffus du sexe de l’enfant”. A un an les filles ont un score de développement sensiblement plus élevé que les garçons, notamment en ce qui concerne le langage en réception et en production, le domaine de la socialisation. Le chercheur avance une « hypothèse sociale dans cette différenciation précoce » : il existerait des qualités spontanément attendues de la part des filles et donc une manière de communiquer avec elles qui serait différente. L’effet du rang dans la fratrie est assez faible (il était plus marqué dans une autre étude effectuée sur une autre cohorte).

D’après Bertrand Geay, l’effet le plus important réside dans la position sociale. A un an, sur le plan du développement général, les enfants de milieu populaire apparaissent sensiblement plus développés que les autres. Mais cela dépend du domaine. Concernant le langage en réception, les enfants des « catégories cultivées » (à ne pas confondre avec les milieux aisés, des enseignants sont par exemple considérés comme cultivés mais pas forcément aisés), sont parmi ceux qui atteignent les meilleurs scores. En revanche, en matière de motricité ou d’autonomie les enfants de milieu populaire sont plus avancé. Pour le chercheur, « il ne pas regarder les milieux populaires avec les yeux des classes moyennes. Ca ne veut pas dire que tout se vaut et que chacun part avec une chance égale. Mais les milieux populaires ont leurs propres standards, leurs propres théories. Il existe une normativité propre aux milieux sociaux. Ce n’est pas le même système d’attente. »

Dans les milieux populaires on est par exemple attentif au développement des enfants, à la marche, au fait que l’enfant dise « papa et maman », utilise sa « bonne main ». Il existe une conception populaire du développement de l’enfant. Pour les classes moyennes et supérieures cultivées ce sont davantage la culture psy, l’éveil, la communication qui sont valorisés. Et, ajoute Bertrand Geay, l’effet de la culture d’origine est l’un des effets les plus parlants. C’est flagrant en matière de motricité. « Avec la nationalité on voit des différences. Les enfants de parents issus d’Afrique sub saharienne se développent de façon beaucoup plus précoce sur le plan moteur. On a à peu près le même type de variables que dans les familles populaires. »

Le rôle du mode de garde  a lui aussi été passé au crible. C’est chez les enfants gardés par leurs grands parents qu’on trouve les scores les plus avancés en matière de développement à un an. Mais attention, cela s’explique aussi parce que les enfants gardés par leurs grands-parents viennent majoritairement de milieu populaire.
« On ne prédit pas l’avenir », prévient Bertrand Geay (à raison, dans la mesure où les exercices de corrélation statistique effraient souvent les professionnels français qui, confondant constat et sentence, y voient un inquiétant déterminisme). Il poursuit : « On ne dit pas « il faut faire comme les classes populaires » mais on n’est pas non plus misérabiliste. Il faut juste considérer les manières propres de faire de chaque groupe social, ses potentialités, ses limites. »
Il ajoute que concernant le quotient de développement des enfants observés, « il y a fort à parier qu’à 2 et 3 ans les courbes des différents groupes sociaux vont s’inverser ». « Quand on privilégie la communication par le jeu (ndlr : comme dans les catégories plus aisées), d’autres formes de développement entrent en ligne de compte qui seront certainement plus rentables quand l’enfant arrivera dans l’institution scolaire. »

Il l’avait formulé autrement lors de la première présentation de ces résultats : constater que les enfants des familles les moins aisées sont en avance sur certains plans quand les enfants des milieux cultivés les dépassent dans d’autres domaines ne revient pas à dire « un partout balle au centre ». Le décalage sur le plan moteur finit par s’estomper (sauf trouble, un enfant finit toujours pas marcher ou à devenir propre) alors que le décalage langagier, lui, a tendance à s’amplifier et à expliquer une part des inégalités scolaires.

Quand le soutien aux parents renforce les stéréotypes de genre

Après Bertrand Geay c’est Marianne Modak, chercheuse suisse de la Haute Ecole de travail social et de santé, qui prend la parole sur les situations différenciées des mères et des pères.
« La notion de parentalité peut être fructueuse mais aussi porteuse d’inégalités en renforçant la répartition sexuée des rôles, explique-t-elle. On constate que les dispositifs mis en place contribuent à renaturaliser les assignations genrées au travail de parent. Les mères sont prioritairement mobilisées. La maternité a été et reste la cible privilégiée de la moralisation et du contrôle de la parentalité. Il existe une norme de disponibilité qui contraint les mères, une image de maternité intensive selon laquelle la mère est le pourvoyeur de soins central. » Elle estime notamment que « l’allaitement reste la pierre d’achoppement des combats féministes ». Les mères « paient le prix fort de la parentalité en terme de stigmatisation et de péjoration sur plan du travail ».

Pour Marianne Modak, les professionnels ne portent pas seuls la responsabilité de cet état de fait. Ils déplorent tous l’absence des pères. La chercheuse, estime qu’il est impératif de revenir sur les tâches concrètes qu’implique le fait d’être parents et sur l’inégale répartition de ces taches. « Le soutien à la parentalité veut développer ou contrôler des compétences parentales mais il ne traite pas du travail d’élevage ni de la division sexuelle de ce travail. Ca ne se rapporte ni aux tâches concrètes, ni au partage de ces tâches. En heure et énergie ça représente quoi ? La notion de compétences évacue l’inégale répartition dans la famille et la société. Ne faut-il pas porter l’attention sur l’aspect économique (gratuité, invisibilité) et mettre l’accent sur les besoins réels ? Le parent sous le régime de la parentalité est un terme neutre. L’intérêt de l’enfant est l’unique critère pour le contrôle social en direction de ces actions. Comment dans un tel contexte la notion de parentalité est-elle en mesure d’accompagner l’égalité des sexes ? Cela ne peut se faire qu’en soulevant le non partage des tâches domestiques et la notion de gratuité de ce travail.»

On peut noter que la question est d’autant plus complexe quand les actions de soutien s’adressent plus spécifiquement aux familles les moins aisées, dans la mesure où les milieux populaires (les études le montrent très bien) ont une conception beaucoup plus naturaliste, beaucoup plus genrée, des rôles parentaux.

Les relations parents-enfants vues par les collégiens

Une autre intervenante apportera un éclairage intéressant sur les familles françaises, à partir du ressenti déclaré par les collégiens. Emmanuelle Godeau, médecin de santé publique à l’Académie de Tours (attachée à l’Inserm-UPS) rapporte les résultats de l’enquête HSBC, menée dans 43 pays avec des auto-questionnaires proposés à des élèves de collège. Dans cette enquête, la famille est un déterminant abordé parmi d’autres. Il en ressort que la famille arrive largement en tête dans les préoccupations des collégiens. Ils estiment dans leur grande majorité que le dialogue avec leurs parents est plutôt facile. Il est plus aisé chez les garçons que pour les filles, et la qualité de ce dialogue semble se dégrader entre la sixième et la troisième. Le dialogue est nettement plus simple avec les mères. En revanche, avec le beau-parent, la différence sexuée s’écrase. Résultat étonnant : la France est en avant dernière position pour la facilité du dialogue avec la mère et le père (même si la différence entre le premier et le dernier du classement est minime) alors qu’elle est dans le même temps championne en matière de partage du repas avec les parents. Comme le note Emmanuelle Godeau : « On ne communique pas bien mais on dîne ensemble ! »
En matière du soutien perçu par les collégiens, la position de la France se révèle moins défavorable : 7 collégiens sur 10 perçoivent un soutien élevé. « Il y a quelque chose autour de la communication dans notre pays mais pour autant les jeunes se sentent soutenus », expose le médecin.
A noter : les facteurs socio-démographiques sont associés au fait de percevoir un soutien élevé. Les garçons se sentent plus soutenus que les filles, les sixièmes plus que les troisièmes. Les élèves issus des familles favorisées sont ceux qui se sentent le plus soutenus par leur famille.
Le fait de vivre avec ses deux parents accroît la perception positive de soutien. On se sent aussi plus soutenu quand on a un frère ou une sœur.
En résumé Emmanuelle Godeau pose que : la famille est primordiale pour les collégiens, y compris à 15 ans, le soutien perçu apparaît socialement déterminé, la santé mentale (troubles internalisés et externalisés) est plus dégradée chez les jeunes défavorisés, en revanche les ados des parents les plus favorisés sont les plus consommateurs de drogue, les enfants qui se conçoivent comme pauvres consomment plus que les autres. Entre 2010 et 2014, un peu plus de collégiens déclarent que le dialogue est plus facile (nette amélioration du dialogue avec les belles-mères notamment). Mais la situation de la France s’est dégradée (ou a moins progressé) par rapport aux autres pays. Après avoir été au milieu du classement, nous sommes avant derniers.