A quelques semaines du début des discussions autour de la nouvelle Convention d’Objectifs et de Gestion, la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a elle aussi inscrit la politique familiale dans une perspective d’investissement social.

La France dépense 8000 euros par an et par enfant, ce qui, en Europe, nous place en 4ème position derrière l’Allemagne, la Suède et le Danemark. Allons-nous faire  encore plus et allons nous faire différemment, en matière d’accueil du jeune enfant et de soutien aux familles ? C’est l’adoption de la prochaine Convention d’Objectifs et de Gestion (COG), dont les travaux débuteront en novembre, qui le dira. En attendant, Agnès Buzyn, la Ministre des Solidarités et de la Santé a dessiné quelques pistes quant à la politique familiale à venir. Selon le dossier de presse relatif au sujet, intitulé « Accompagner las familles dans leur diversité », la ministre des Solidarités et de la Santé souhaite « centrer la politique familiale sur trois objectifs clairs, cohérents, et complémentaires : s’adapter, y compris dans le droit, aux nouvelles réalités familiales dont la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, développer une vraie politique d’offre de services aux familles, de la naissance jusqu’à l’accession à l’autonomie de l’enfant, à côté des allocations monétaires, favoriser, au travers de cette offre de services, la qualité pour le développement harmonieux des enfants, dans une logique d’investissement social. »

Plus d’enfants pauvres en crèche : pas nouveau, mais toujours essentiel

Un nouveau credo semble s’imposer depuis plusieurs mois avec la notion d’investissement social (voir nos différents articles: Investissement social, des crèches françaises en 1ère ligne investir dans la petite enfance, mais sur des preuves, Agir pour l’égalité dès la petite enfance, oui mais comment?). Il y a deux semaines, lors d’un colloque consacré au programme “Jeux d’enfants” Pauline Domingo, responsable du département enfance jeunesse et parentalité à la CNAF a clairement annoncé un virage de la politique familiale :
« La branche famille ne mesurait pas son action en matière d’investissement social. Elle veut désormais l’inscrire en tant que telle dans ses orientations stratégiques. Qu’est ce que ça veut dire pour la petite enfance ? Cela nous fait changer de paradigme. Dans la précédente Convention d’Objectifs et de Gestion, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle était l’enjeu majeur. Maintenant l’enjeu sera davantage du côté de la socialisation des enfants comme levier de lutte contre les inégalités. Qu’est ce que ça veut dire pour le développement de l’offre ? Comment accompagne-t-on les familles les plus éloignées, les plus vulnérables, qui parfois s’auto-censurent ? Qu’est ce qu’on attend comme qualité au sein des modes d’accueil? Adapte-t-on nos financements selon des objectifs de conciliation ou de socialisation ? »
Le Ministère des Solidarités et de la Santé, particulièrement soucieux de la situation des familles monoparentales, confirme donc cette orientation : « Les familles les plus fragiles, appartenant aux catégories socio-professionnelles les moins aisées, recourent comparativement moins que dans les autres pays aux solutions de garde collectives, qui favorisent le développement précoce de l’enfant et l’égalité des chances. Le PFLSS 2018 comprendra des mesures pour soutenir les familles les plus fragiles et les aider à trouver un mode de garde de qualité qu’il soit individuel ou collectif. »

Ce recours aux modes d’accueil comme outil d’une politique globale de lutte contre les inégalités est une idée portée depuis 2014 par le think Tank Terra Nova qui a produit un nouveau rapport sur le sujet en mai 2017. Denis Clerc et Michel Dollé, économistes,  auteurs de “Réduire la pauvreté. Un défi à notre portée”, viennent de réagir dans une note aux propositions de Terra Nova.  Globalement d’accord sur les constats et suggestions, les deux économistes vont plus loin : « viser l’égalité des chances ne devrait pas conduire simplement à un objectif d’accès aux crèches d’une proportion d’enfants pauvres égale à celle dans la population locale mais d’une proportion supérieure. Rien ne garantit que des places nouvelles créées dans des zones prioritaires profitent pleinement à des publics prioritaires (ndlr : c’est la proposition de Terra Nova). Il convient de remettre en avant ce critère de présence minimale en le précisant (quant à la durée de présence) et en assurant des modalités de contrôle et de sanction. Une telle priorité implique aussi de coordonner accueil collectif et accueil individuel, de sorte que, en situation de pénurie, les classes moyennes n’aient pas le sentiment qu’elles sont sacrifiées au bénéfice des pauvres.» Les deux auteurs formulent dans leur note d’autres points d’accord et d’autres réserves quant au rapport de Terra Nova.

Renforcer l’accompagnement à la parentalité : une priorité aux modalités encore floues

La précédente COG (2013-2017) avait mis l’accent sur l’accompagnement à la parentalité avec un budget dédié qui avait plus que doublé en quatre ans (de 50 à 110 à millions d’euros). Agnès Buzyn veut de son côté “créer une véritable politique de soutien à la parentalité” (volonté émise par d’autres avant elle). “Au-delà des aides financières, les familles ont besoin d’être accompagnées, des premiers mois de vie de leur enfant jusqu’à son adolescence, pose le Ministère. Pour aider les parents face à des difficultés imprévues, pour prévenir les ruptures, il existe de multiples dispositifs de soutien à la parentalité ; la ministre des Solidarités et de la Santé souhaite qu’ils soient mieux connus et également mieux coordonnés avec l’école. » Ou encore : « Les axes d’une refonte de cette politique seront définis dans une stratégie nationale du soutien à la parentalité et déclinés dans la future COG. La ministre inscrit d’ores et déjà comme prioritaire dans son action le développement de ce mode de soutien aux familles. Les moyens de la politique de soutien à la parentalité seront augmentés au sein du Fonds national d’action sociale. »

Il n’est rien dit des modalités de cette action. Il semble que l’objectif soit de renforcer les dispositifs existants (LAEP, REAAP, Contrats Locaux d’accompagnement scolaire, médiation familiale) et non de s’orienter vers des « programmes » évalués à l’anglo-saxonne (sur le sujet voir nos articles: “soutien parental: les dispositifs qui marchent”, “Aider les parents à nourrir le cerveau de leur enfant”, “Soutenir les parents face aux troubles du comportement”, Attachement, les interventions les plus probantes, et beaucoup, beaucoup d’autres articles sur le sujet). Pour définir cette politique de soutien à la parentalité, le gouvernement et ses partenaires s’appuieront très certainement sur le rapport de Claude Martin, “Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin“, dont on a pu découvrir les grandes lignes lors d’un colloque récent organisé par la CNAF (voir à ce sujet nos trois articles: “soutien parental: des contours et des objectifs encore flous“, “un colloque dédié aux pratiques et aux besoins des parents“, “du parent bénéficiaire au parent acteur“). La prochaine COG posera-t-elle la nécessité d’une évaluation de ces dispositifs ? Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF (en partance), n’a cessé de prôner une exigence d’évaluation de l’action publique dans ce domaine. Mais cette exigence est difficilement compatible avec le maintien en l’état des dispositifs actuels, dont la philosophie et les modalités se prêtent justement peu à l’évaluation. On en saura plus en novembre.