Nous vous proposons ici une lecture détaillée et commentée du rapport de l’IGAS sur les infanticides commis par un parent, rapport qui, au-delà de ces cas extrêmes, met en lumière les erreurs d’interprétation, les injonctions paradoxales, les freins idéologiques, qui peuvent concourir à gripper le système de la protection de l’enfance et à laisser des enfants exposés à un danger manifeste.

L’IGAS a remis la semaine dernière un rapport sur les morts violentes d’enfants au sein des familles, avec l’ambition de présenter une « évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance ». Les auteurs ont recensé les infanticides survenus entre 2012 et 2016 et sélectionné, pour une étude approfondie, 45 dossiers « représentant l’éventail le plus large possible de cas, notamment les affaires dont les médias s’étaient fait l’écho ». Les analyses et recommandations proposées dans ce document rejoignent bien des écrits antérieurs, plus ou moins récents, dont le livre co signé par Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil National de la Protection de l’Enfance, et la journaliste Françoise Laborde, « Le massacre des innocents », ou encore le rapport publié en décembre 2015 par l’ONPE, co-rédigé par Eliane Corbet et Nadège Séverac, « maltraitances : comprendre les évolutions pour mieux y répondre », dont on n’écrira jamais assez à quel point il est précis, édifiant et essentiel à la compréhension du système.

72 enfants tués chaque année par un membre de leur famille

Le principal enseignement de la mission menée par l’IGAS est résumé dans l’introduction du rapport : « Ce premier recensement national montre un nombre élevé d’enfants, principalement très jeunes, tués chaque année par leurs parents et l’étude des dossiers met en évidence, pour certains d’entre eux, des dysfonctionnements ou des occasions manquées à différents niveaux du dispositif de protection de l’enfance. Ces constats permettent de conclure à la nécessité de renforcer la protection de l’enfance pour mieux prévenir les morts violentes d’enfants au sein de la famille. »
Entre 2012 et 2016, 363 enfants ont été tués par un membre de leur famille, soit une moyenne de 72 enfants par an. Les nourrissons et les plus jeunes enfants qui sont les plus exposés, et, parmi eux, ceux âgés de moins de six ans. Ce sont très majoritairement les mères et les pères qui sont à l’origine des faits, les conjoints de ces derniers, presque toujours de sexe masculin, représentant 8 % des cas. La part des personnes très jeunes est relativement faible : 3 % ont moins de 18 ans et 7 % ont entre 18 et 20 ans. Un quart a entre 30 et 40 ans et une part non négligeable est âgée de plus de 40 ans.

La mort de l’enfant, suite logique d’une série de violences ou « accident » inattendu ?

L’IGAS estime que ces décès constituent très certainement la partie émergée de l’iceberg, « le point extrême d’une série continue de mauvais traitements », tout en précisant que « plusieurs travaux effectués sur le plan national divergent sur le fait que la mort d’un enfant victime de la maltraitance est le résultat d’une escalade de violence et de négligence ».
A cet égard, l’exploration des néonaticides et du syndrome du bébé secoué (SBS) sont intéressants. Par définition, le meurtre du bébé à la naissance, commis par la mère (pas forcément jeune comme on pourrait le penser), en général à la suite d’une grosse cachée ou d’un déni, constitue bien un acte de violence extrême, fatal et unique, sans violences préalables (le bébé est le plus souvent tué dans les minutes qui suivent sa naissance).
Les affaires de Syndrôme de bébé secoué, explorées par le rapport ne permettent pas une conclusion aussi tranchée. Sur les 363 décès d’enfants recensés, 86 ont eu lieu à la suite d’un secouement et hormis les cas de néonaticides, plus de la moitié des enfants de moins d’un an ont été victimes du SBS. Dans près de 80 % des cas, les hommes sont en cause dans les décès à la suite du SBS. Dans les 45 dossiers étudiés plus précisément, 9 enfants sont morts du SBS. Il ressort de ces 9 dossiers que la totalité des nourrissons avait subi des violences répétées, tel que cela résulte des déclarations, des autopsies et des examens complémentaires. La majorité des pères incriminés avait des conduites addictives (cinq sur neuf) et plusieurs étaient violents avec leur compagne (quatre cas). Ils n’avaient pas d’emploi ou vivaient en grande précarité dans quatre cas. La question du lien de paternité était posée pour trois d’entre eux.

Le syndrome du bébé secoué : une vraie maltraitance

L’IGAS précise que ces constats sur l’existence de violences antérieures rejoignent les conclusions des travaux du docteur Caroline Rey-Salmon selon laquelle il existe des « signes avant coureurs » au secouement provoquant le décès de l’enfant. Une peinture singulièrement différente de celle qui est souvent présentée, notamment dans les messages de santé publique qui associent le SBS au geste imprévisible d’un parent lambda épuisé, exaspéré par les pleurs de son nouveau-né. Un éclair dans un ciel serein, en quelque sorte. Or, d’après la mission confiée à l’IGAS, la plupart des auteurs sont des hommes (dans d’autres enquêtes les auteurs sont des hommes à 70%, en général le père biologique et lorsque l’auteur est une femme, il s’agit plutôt d’une assistante maternelle), pourtant censés être moins au contact des tout petit bébés et donc moins touchés par l’épuisement parental que les mères. Les pères des 9 dossiers retenus par l’IGAS qui sont sans emploi, soit toxicomanes, soit violents avec leur compagne, ne semblent pas non plus relever du géniteur lambda.

La Haute Autorité de Santé, dans ses nouvelles recommandations sur le sujet notait d’ailleurs en 2017 : « Tous les milieux socio-économiques, culturels, intellectuels peuvent être concernés comme dans les violences conjugales ; cependant la précarité (bas niveau d’études et de revenus, jeune âge de la mère), l’isolement social et familial sont des facteurs de risque supplémentaires.» La HAS relevait aussi qu’ « une notion récente est la répétition des épisodes de secouement dans la majorité des cas » et que les interventions antérieures des services sociaux constituait un facteur de risque.

Mais sur ce sujet comme pour…quasiment sur tous les sujets, il semble toujours plus urgent de préciser que bien évidemment « cela concerne potentiellement tout le monde et tous les milieux sociaux » (oui, peut-être, mais dans quelle proportion?) plutôt que d’essayer d’identifier des facteurs de risque qui permettraient de mettre en place des outils de prévention plus efficaces.

Jeune âge de l’enfant et fragilités psycho-sociales des parents = situations à risque

En l’occurrence, dans son rapport, et pour l’ensemble des 45 dossiers d’infanticide étudiés, l’IGAS « s’est efforcée d’identifier des facteurs de risque a priori, puisés dans différents registres (social, familial, psychologique, etc.), qui permettent de décrire le contexte familial et de quantifier ces différents indicateurs de vulnérabilité. »
Il apparaît que dans les dossiers examinés, l’âge des victimes représente le principal facteur d’exposition au risque (60 % des enfants décédés ont moins de trois ans). Puis viennent des facteurs socio-familiaux : l’enfance difficile des parents, voire des grands parents, la désinsertion sociale et la précarité matérielle (chacun de ces facteurs est présent dans plus de la moitié des dossiers). Enfin, la violence conjugale (16 dossiers), les addictions (20 dossiers), la monoparentalité (19 dossiers) et les troubles psychiatriques (25 dossiers) sont des facteurs présents dans un bon nombre de dossiers. Dans les trois quarts des dossiers, les familles étudiées cumulent au moins quatre facteurs de vulnérabilité. Pour huit dossiers, les familles présentent sept facteurs et pour trois autres, huit facteurs de risques étaient présents sur douze.

Dans la moitié des 45 cas étudiés, les familles laissaient paraître plusieurs signes de grande vulnérabilité (trois et plus) révélant des situations pouvant comporter des risques de danger pour l’enfant. « Cependant, note l’IGAS, ces faisceaux d’indices concordants n’ont jamais été reliés car ils n’ont pas été partagés donc ni analysés ni traités par les professionnels, et ne permettaient pas d’évaluer ces situations de danger. »
Or, pour les auteurs, « la maltraitance des enfants trouve souvent son origine dans une accumulation de facteurs de risque, tels que les troubles psychiques ou de la personnalité la pauvreté, les addictions, les violences conjugales, le chômage, les problèmes relationnels, l’isolement, les antécédents personnels de maltraitance, un déficit d’aptitudes cognitives ou pédagogiques chez les parents ». « Jusqu’à présent, la prise en charge de la maltraitance infantile n’a pas accordé suffisamment d’attention spécifique aux parents présentant de multiples facteurs de risque et notamment aux pères. »

Identifier et accompagner les familles vulnérables dès la grossesse : finalement, ça pourrait être utile

L’IGAS le martèle : « une politique de prévention efficace passe par l’identification des familles vulnérables et la mise en œuvre d’interventions adaptées, notamment en périnatal. » Dans sa recommandation n° 14, la mission préconise d’« accompagner de manière renforcée les parents connus pour leur vulnérabilité durant les périodes cruciales comme la grossesse, l’accouchement et le début de la parentalité, avec le repérage systématique des facteurs de vulnérabilité somatique, sociale, psychoaffective, et leur orientation vers les structures de soutien parents-bébé existantes ou à créer (PMI, CAMSP, CMPP, CMP et services sociaux) et permettre ainsi de réduire les risques. »

Les auteurs s’étonnent qu’ « on ne trouve qu’une seule mention de l’« entretien prénatal précoce » qui devrait être le principal dispositif de prévention psycho-social. » Peut-être parce que justement, quand il a été question, au moment de sa création en 2007, de faire de cet EPP un outil de prévention psycho-sociale, de nombreux professionnels du champ médico-psycho-social s’y sont opposés,  réclamant en plus que cet entretien ne revête aucun caractère obligatoire. Ils ont obtenu gain de cause. Le résultat c’est que seules 28,5% des femmes y ont aujourd’hui accès (enquête périnatale de 2016) et que d’après Anne-Laure Sutter-Dallay, psychiatre en périnatalité et chercheuse à l’Université de Bordeaux, qui a mené une recherche à partir de la cohorte Elfe, « les femmes qui bénéficient de l’EPP ont une bonne insertion sociale, elles vont plutôt bien, déclarent plus fréquemment des difficultés mais auraient de toute façon trouvé un accès aux soins

Les professionnels qui craignaient en 2007 que « l’ambition de dépister exhaustivement les femmes en souffrance psychique ou en difficulté sociale » ne produise « une méfiance contre-productive à l’amélioration de la qualité de l’accompagnement », peuvent aujourd’hui être pleinement rassurés. Les femmes en souffrance psychique ou en difficulté sociale ne risquent pas de se montrer méfiantes vis à vis de cet EPP. Elles n’y ont pas accès.

Dix ans après cette levée de bouclier, les incitations à réinvestir la dimension préventive de l’entretien prénatal précoce se multiplient (dans la stratégie Pauvreté comme la Stratégie Protection de l’enfance par exemple).

Soutenir la parentalité des parents vulnérables (mais encore faut-il poser qu’il existe des parents vulnérables)

Le rapport de l’IGAS s’étonne également qu’ « on ne trouve pas trace, non plus, de mesures d’accompagnement à la parentalité, hormis le suivi médical de la grossesse auquel souvent le futur père n’assiste pas. » « S’il est vrai que les dossiers judiciaires retracent rarement le suivi médico-social avant la naissance, il faut constater que la prévention, et particulièrement l’accompagnement à la parentalité, pour des familles confrontées à de multiples vulnérabilités constitue une des principales faiblesses du dispositif de protection de l’enfance. »
Ici, nous nous interrogeons : s’agit-il de la part de l’IGAS d’un étonnement réel ou d’un étonnement rhétorique ?

Car les raisons de ces « faiblesses » constatées par les auteurs nous semblent assez évidentes.
D’abord, en France, il n’est pas très politiquement correct de considérer qu’il existerait des parents plus vulnérables que d’autres, puisque le credo officiel est que « tous les parents peuvent rencontrer des difficultés ». Postulat très bien résumé dans le premier rapport Giampino de 2016 sur le développement et l’accueil du jeune enfant: « Pour rappel il n’y a pas de lien direct et univoque entre les difficultés de vie des parents et leurs qualités parentales profondes. Des bébés vivant dans des milieux sociaux aisés peuvent pâtir d’insécurités affectives alors qu’un enfant d’une famille exposée aux malheurs peut être très sécurisé et porté vers son autonomie.» Le rapport appelait à éviter « l’injonction » qui « aboutirait à cibler les actions sur ceux qui paraissent les plus éloignés, au risque de ne pas s’adresser aux familles qui, elles, si elles semblent se conformer au modèle, sont cependant des nids de souffrance ou de violence ». Cette antienne s’invite régulièrement lors d’événements sur la parentalité (comme ici, lors d’un colloque organisé par la Société Française de Santé Publique  ou ici, lors d’une conférence à l’occasion d’un rapport produit par le Think Tank Vers le Haut. La dernière stratégie dédiée au soutien à la parentalité (« Dessine moi un parent ») n’a pas dérogé à la règle: il y est fort peu question de parents vulnérables.

Ensuite, face à des familles présentant des carences éducatives lourdes et donc un fort besoin de guidance parentale, à l’image de celles évoquées par le rapport de l’IGAS – on ose espérer que tout le monde sera d’accord sur le fait qu’un parent responsable du décès de son enfant peut être considéré comme un parent qui aurait dû bénéficier d’une guidance parentale -, les professionnels peuvent se trouver fort dépourvus, tout imprégnés qu’ils sont des grands principes du soutien à la parentalité français. Lequel doit être non prescriptif, non dogmatique, non normatif, respecter les différentes méthodes éducatives, viser la valorisation des compétences parentales (qui existent, forcément) et la confiance en soi du parent. Ce relativisme éducatif (toutes les éducations se valent) était lui aussi très bien résumé dans le rapport Giampino de 2016 : « Etre « bon » père ou « bonne » mère, ça change, d’un amour à l’autre et selon les mœurs et les lois d’une culture et d’une époque».

Des professionnels qui « euphémisent » la violence

Autre focus intéressant dans ce rapport: la difficulté pour les travailleurs sociaux d’évaluer le danger encouru par les enfants, en raison notamment d’une focalisation sur les difficultés des parents ou d’une confusion entre un problème de comportement de l’enfant et une réelle altération de son développement.
« Les professionnels font souvent part de leur inquiétude sans qualifier la nature et le degré du danger pour l’enfant, sauf quand il s’agit de maltraitances physiques avérées, note l’IGAS. La conclusion des rapports relève parfois plus de la suggestion que de l’évaluation : l’euphémisation généraliste, consistant à exprimer le problème, non en le nommant, mais en évoquant un manquement à une norme.» Ce passage du rapport de l’IGAS vient quasiment paraphraser le rapport de l’ONED de 2015 qui évoquait déjà cette « euphémisation » et un « art de la suggestion ». Dans un long entretien qu’elle nous a accordé en 2016, la sociologue Nadège Séverac, co-auteure du rapport de 2015 nous disait au sujet des travailleurs sociaux : « Je ne crois pas qu’ils “tergiversent”, mais plutôt et c’est pour cela qu’on a parlé d’”art de la suggestion”, qu’ils doivent se plier à l’injonction de devoir montrer sans dire quoi que ce soit qui pourrait être considéré comme “jugeant” à l’égard des familles – d’autant qu’ils sont supposés lire l’écrit aux familles. »

L’alliance avec les familles, plus prioritaire que la protection de l’enfant

L’IGAS pointe d’ailleurs la posture très paradoxale de ces professionnels, censés protéger l’enfant tout en faisant alliance avec la famille. « Dans la plupart des situations étudiées, les modalités d’intervention des professionnels s’expliquent fréquemment par les principes structurant le travail social généraliste, qui consistent en particulier à « faire avec la demande de l’usager ». La faiblesse des observations apparaît plus compréhensible dès lors que l’on considère que l’enjeu principal est l’alliance avec la famille au service de l’instauration d’une relation de confiance.(…) Cette manière de faire du travail social qui conduit à s’abstenir de tout jugement des usagers, a fortiori de toute stigmatisation, et qui se caractérise par l’écoute, l’empathie, la confiance, la mise en valeur de ressources et la spécification d’un projet, sur la base d’une alliance avec l’usager, destiné à lui permettre de se ressaisir dans un mouvement d’autonomie et d’insertion, est certes pertinente mais trouve ses limites quand l’enfant est en situation de danger. En effet, l’analyse des dossiers étudiés renvoie à l’existence d’un « double usager », les parents et l’enfant, dont les intérêts fondamentaux sont susceptibles de se trouver en tension, voire en conflit majeur. »

Là encore, c’est une problématique qui a été très bien mise en lumière par Eliane Corbet et Nadège Séverac dans leur document de 2015. Dans l’interview donnée à GYNGER, la sociologue expliquait notamment au sujet de cette injonction de l’alliance : « Faire alliance avec le maltraitant, oui parce que c’est la condition pour qu’il change, pour autant qu’on ne perde à aucun moment de vue que notre aune, c’est l’enfant et son mieux-être. (…) L’impératif de “déstigmatisation” est devenu le premier des mots d’ordre chez les travailleurs sociaux qui s’est en réalité traduit par une interdiction à dire. (…) Ce qui est donc mis en avant, ce n’est pas tant que Monsieur qui soulève son petit de garçon de 6 ans par le cou exerce une violence, ni les conséquences sur cet enfant, mais le fait que Monsieur a eu un parcours de vie difficile et qu’il est en souffrance, ce qui est par ailleurs vrai! Il ne s’agit pas de nier que la violence de Monsieur puisse être le symptôme de sa souffrance, mais de souligner que ce qui nous importe d’abord, c’est que la violence est interdite et qu’elle doit cesser. »

L’omniprésence des violences conjugales et de la maladie mentale

Qu’est-ce qui ressort encore de ce rapport de l’IGAS ? Sans surprise, la prévalence des violences conjugales. Dans plus de la moitié des cas étudiés (hors les neuf cas des néonaticides), les enfants ont été victimes de sévices physiques réguliers provenant de leurs parents ou des conjoints et parmi ces enfants, plus de 50 % avaient été victimes de maltraitance dans un contexte de violences conjugales. « Dans une part importante des procédures, les violences conjugales ne sont pas suffisamment repérées comme un risque majeur pour l’enfant », notent les auteurs. Sans surprise non plus, la prévalence des troubles psychiques des parents, présents dans 25 des 45 dossiers retenus par l’IGAS. « Si l’enquête nationale a fait apparaître un certain nombre de parents s’étant donné la mort ou ayant bénéficié d’un non-lieu pour abolition du discernement, l’analyse des dossiers a mis en évidence un nombre important de parents meurtriers présentant des troubles psychiatriques ».

Dans un de nos précédents articles, Nicole Haccart, qui a créé une structure pour accueillir les jeunes sous mesure de protection présentant des troubles du comportement majeurs, expliquait que quasiment tous ces jeunes ont des parents porteurs d’une maladie psychiatrique. Dans un autre entretien, c’est cette fois Michèle Créoff qui évoquait le sujet: « Il est difficile de parler de la parentalité des personnes présentant un handicap mental ou une maladie psychiatrique, on craint la stigmatisation, l’eugénisme. Or, les effets de la maladie mentale sur les enfants sont connus. On ne sait pas guérir ces patients, on parvient difficilement à réguler leurs symptômes. Leur parentalité est donc un sujet majeur. Il ne s’agit pas de parler d’intentionnalité ou de culpabilité, juste des effets sur les enfants. Or là encore, on ne pense pas en terme de symptômes mais en terme moral.»

La planification des naissances comme prévention de la maltraitance

Dans leurs préconisations, comme mesure de prévention de la maltraitance, les auteurs proposent de mener des campagnes se sensibilisation sur la contraception, notamment à destination des femmes les plus vulnérables. Cette recommandation pourrait s’appuyer sur une étude américaine menée pour évaluer un programme de prévention de la récidive de la maltraitance, constitué de visites à domicile en post partum, auprès de familles déjà identifiées comme maltraitantes avec un premier enfant. Le programme s’est révélé plutôt efficace. Il semble que ce soit la moindre fréquence de grossesses subséquentes qui explique en partie les résultats obtenus plus qu’un changement de comportement parental (les mères ayant bénéficié du protocole ont été moins nombreuses à avoir d’autres enfants par la suite que celles du groupe contrôle, elles auraient moins soumises à la fatigue et au stress). Les auteurs de l’étude ont donc proposé d’introduire une notion de planification familiale dans le suivi de ces familles, d’autant plus, notent-ils, que la littérature montre un effet négatif de deux premières grossesses rapprochées sur les indicateurs de santé des mères comme des enfants.

Un appel à un meilleur repérage… mais avec quels outils ?

Pour Michèle Créoff, la vice-présidente du CNPE, ce rapport vient en tous cas confirmer les analyses présentées dans son livre mais ne va pas assez loin. « Ce qui me frappe dans ces 32 propositions qui préconisent à des degrés divers une amélioration du repérage et du dialogue entre les différents acteurs ainsi que l’émergence d’une culture commune, explique-t-elle, c’est l’absence de proposition d’un référentiel national d’évaluation des informations préoccupantes ainsi que la diffusion des formations communes interinstitutionnelles sur ce référentiel. Il faut changer de braquet et instaurer un outil de repérage et de diagnostic commun, identique sur tout le territoire et connu de tous les professionnels concernés, donc présent dans tous les cursus de formation. Cet outil de référence doit être piloté au niveau national afin que son adaptation et son évaluation scientifique soient régulières en fonction de l’évolution des pratiques et des connaissances et qu’ainsi il devienne légitime auprès de tous.»

On peut aussi s’étonner du caractère relativement incantatoire de la recommandation n°22, « créer, au niveau du conseil départemental, un dispositif de régulation des mesures ordonnées par le juge des enfants pour éviter tout délai anormalement long entre sa décision et la mise en œuvre des mesures», et de sa justification : « L’absence de prise en charge d’un enfant ou sa rupture malgré la décision de justice l’ordonnant lui fait courir des risques importants. Les mesures décidées par le juge des enfants doivent intervenir sans délai et ne pas dépendre des contraintes de disponibilité des services.» Car dans de nombreux départements, c’est le mot « saturation » qui semble le mieux qualifier les services de l’Aide sociale à l’enfance et la justice des mineurs.

Ce rapport a en tous cas le grand mérite d’exister, enfin. En janvier 2018, à l’occasion de l’un de ces cas de maltraitances “traités par les médias”, nous avions publié un article pour dire notre étonnement après les propos d’un Procureur de la République qui avait qualifié d’irrationnels les comportements des protagonistes de ce drame (comportements au contraire archétypaux au regard des affaires d’infanticides). Nous avions conclu ainsi: “Il devrait pourtant bien être possible de recenser toutes les affaires d’homicide sur mineurs de 15 ans des 30 dernières années, de les analyser, les classer, d’en extraire les éléments récurrents, les points communs, d’effectuer des projections, des modélisations, d’en retenir des statistiques, des outils, des grilles d’analyse. Autant d’enseignements qui, sans prétendre éviter à l’avenir tout drame de ce type, pourraient à tout le moins renforcer la capacité de chacun des acteurs à reconnaître l’urgence absolue quand elle se présente“.