Après 7 semaines d’auditions, 40 réunions, une centaine de contributions de la part des associations, mais aussi près de 7000 commentaires en ligne de la part de particuliers dont 3600 de personnes en situation de pauvreté, les six groupes de travail missionnés par Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, ont rendu leurs rapports respectifs. Ces propositions doivent permettre d’élaborer la prochaine stratégie de prévention contre la pauvreté des enfants.

Le premier groupe de travail, « éradiquer la pauvreté des enfants », présidé par Nathalie Casso-Vicarini (Présidente fondatrice de l’association Ensemble pour l’éducation de la petite enfance) et Frédéric Leturque (maire d’Arras) a d’abord préconisé de « viser à horizon 2030 un accès universel aux modes d’accueil de la naissance à 3 ans ». Avec, une étape intermédiaire, à l’horizon 2022 : un rattrapage du retard des zones sous-dotées et un effort quantitatif assumé en direction des enfants pauvres. Ce groupe conseille de mettre en place « un système de bonus / malus dans les financements octroyés aux EAJE afin de favoriser l’accès des familles pauvres aux modes d’accueil collectifs et de garantir la mixité sociale ». Pourquoi ? Parce qu’en 2013, seuls 5% des enfants de moins de 3 ans appartenant aux 20 % des ménages les plus modestes étaient accueillis en crèche, contre 22% des enfants des parents les plus aisés (cinquième quintile de revenus).

Modes d’accueil : transparence de l’attribution et renforcement de la qualité

La mesure n°3 propose d’ « élaborer avec les élus concernés un socle de critères communs d’attribution des places en accueil collectif et renforcer la transparence sur la publication des critères d’attribution ». Une proposition que l’on retrouve également dans le dernier rapport Terra Nova sur le sujet. « Sans remettre en cause ni l’existence ni la latitude accordée aux commissions d’attribution que nous souhaitons les plus collégiales possibles, écrivent les les deux présidents de ce groupe, un travail collectif doit être conduit sur le renforcement de la transparence des critères d’attribution des places en crèches et la convergence progressive vers des règles plus lisibles et plus équitables, en maintenant une marge d’appréciation des situations les plus sensibles et urgentes. »

Autre préconisation : « Garantir une liberté de choix des modes d’accueil aux familles en situation de pauvreté ». Avec deux axes : généraliser le tiers payant du complément de mode de garde structure et rendre le CMG plus progressif pour diminuer le taux d’effort des familles modestes recourant à l’accueil individuel et collectif.
Ce groupe de travail s’est aussi penché sur la question de la qualité de l’accueil en proposant de mettre en place « un référentiel éducatif visant au développement global et continu du tout petit et à la constitution d’un « socle commun » des pratiques professionnelles en matière d’accueil collectif et individuel ». Il s’agirait ainsi d’avoir un socle de contenu de formation commun à tous les professionnels de la petite enfance, de l’école maternelle et du soutien à la parentalité.
Autre mesure : « Assurer l’évaluation d’initiatives innovantes puis leur essaimage, par le biais d’un « fond national pour la qualité d’accueil en crèche » financé public /privé ».

Une vision intégrée des 0-6 ans

On trouve aussi dans ce rapport un plaidoyer pour une vision intégrée de l’enfance: « Au-delà du développement de ces alliances éducatives locales, nous souhaitons que soit engagée, sur la base d’une analyse des modèles à l’international, une réflexion sur la création d’une compétence ministérielle unifiée au sein d’un ministère chargé de l’enfance pour traiter des questions relatives à l’enfance de 0 à 6 ans. » (sur le sujet voir notre entretien avec Eric Charbonnier).
Les auteurs appellent également à « renforcer l’alliance éducative entre l’école et ses partenaires ».  « Plus au-delà, notent-ils, nous proposons de développer la formation des enseignants et autres membres de l’équipe éducative aux enjeux des relations familles-écoles et la sensibilisation aux problématiques liées à la pauvreté. Afin de soutenir les familles ayant le plus de difficultés à s’impliquer dans la scolarité de leurs enfants, nous proposons la généralisation d’outils de formation pour appuyer les enseignants, à l’image de l’outil hébergé par CANOPE Rennes. »

Comprendre et limiter le non recours

Ce groupe de travail s’est aussi penché sur la question du non-recours, véritable arlésienne du travail social. « Nous proposons le lancement d’une nouvelle campagne de communication mobilisant le réseau des caisses d’allocations familiales dans le cadre de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, afin de renforcer l’information accessible à l’ensemble des familles, en lien avec l’ensemble des acteurs petite enfance dans les territoires. Pour être efficace, et parce le non-recours ne renvoie pas seulement à une méconnaissance de l’offre mais aussi à des phénomènes de « non-demande », cette mesure devra s’accompagner d’actions d’accompagnement ciblées en direction des familles les plus vulnérables. Il nous apparaît indispensable de nous attacher à comprendre ce qui fait obstacle au plein exercice de leur rôle par les parents vivant en très grande précarité, et d’élaborer des actions complémentaires, volontaristes, afin de permettre à ces familles de rejoindre les dispositifs de soutien à la parentalité. » Le récent colloque sur le soutien à la parentalité organisé à l’EHESS sous la houlette de Claude Martin abordait la question. Quant à l’impact de la précarité sur la parentalité, c’est un sujet de recherche constant, que nous relayons dans nos Pueriscope (ici par exemple), qui a été abordé dans le rapport sur les besoins fondamentaux de l’enfant, ou lors d‘une récente journée consacrée aux inégalités sociales de santé.
Ce groupe de travail suggère de « mettre en place un cahier des charges national pour les actions de soutien à la parentalité » mais aussi de « mieux mobiliser les Analyses des Besoins Sociaux pour asseoir une connaissance fine, partagée, quantitative et surtout qualitative, de la demande exprimée comme des besoins non-exprimés ». La récente enquête québécoise effectuée par une importante fondation était à cet égard assez instructive : en matière de parentalité, les populations les plus précaires apparaissaient aussi comme les plus sereines. Fallait-il en conclure qu’elles n’avaient pas besoin de soutien ?

Réduire la précarité alimentaire, prendre en charge les troubles psychiques des enfants et les situations sociales complexes

Parmi les propositions des autres groupes de travail missionnés on trouve notamment la « mise en place d’une incitation en direction des plus petites communes pour réduire le taux d’effort des familles pauvres et faciliter l’accès aux cantines scolaires », ou le soutien au « développement de programmes-pilotes pour proposer des biens à prix réduits dans le champ de l’alimentation infantile ».
Le groupe de travail n°3 propose ainsi de « soutenir via le réseau des CAF la généralisation du programme Malin, qui vise à améliorer les pratiques  alimentaires des enfants de moins de 3 ans et à réduire la charge financière de cette alimentation infantile pour les familles vivant aux alentours ou en dessous du seuil de pauvreté » (nous en parlions ici). Le même groupe (dédié au thème « Développer l’accompagnement global et les leviers de prévention de la pauvreté») préconise de « mettre en place une offre ciblée de petits déjeuners à l’école ». « Nous proposons d’encourager dans les REP, REP + ou dans certaines écoles qui pourraient être identifiées à l’issue d’un ciblage territorial, les dispositifs de petit déjeuner pour tous dans les écoles élémentaires, et de les soutenir par une dotation d’Etat dédiée, avec pour visée de réduire fortement les inégalités alimentaires pour le premier repas de la journée. » Autres mesures figurant dans le rapport de ce groupe : mieux soutenir les dispositifs visant à la préservation des liens familiaux (médiation familiale, espaces de rencontre) au sein des actions de soutien à la parentalité, garantir un accès opposable à un avis spécialisé en santé mentale pour les enfants adressés par leur médecin traitant/pédiatre dans un délai maximal de 2 mois (problème soulevé dans notre article consacré aux semaines d’information sur la santé mentale), développer une offre de santé bucco-dentaire accessible à tous les enfants.
Le groupe de travail n°5 (« Un accompagnement renforcé dans la lutte contre l’exclusion ») pose que « les services de PMI, dont la compétence vis-à-vis des enfants sans domicile ou à domicile incertain (bidonvilles, squats) en lien avec leurs lieux de vie doit être réaffirmée, soient incités à structurer des équipes de promotions de la santé à domicile incluant éducateur de jeunes enfants, puéricultrice et psychologue, destinées à soutenir les familles confrontées à des situations sociales complexes et à renforcer les compétences parentales. » Ce groupe propose aussi la mise en place d’une coordination des acteurs intervenant dans le champ de la protection de l’enfance (ASE/PJJ/Département/Parquet) et des maraudes d’intervention sociale pour lutter contre la mendicité avec enfants et proposer une solution d’hébergement dans la durée. Un problème urgent dans les grandes villes où ces enfants à la rue, poussés à mendier par des adultes, semblent ne pas pouvoir prétendre au droit d’être, aux aussi, protégés.

Prochaine étape : l’élaboration, à partir de ces multiples pistes, d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté des enfants.